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cette famille avec les princes de la maison ducale. Cette influence devint plus redoutable encore aux derniers jours de l’indépendance bretonne, lorsque Françoise de Dinan, comtesse de Laval, gouvernante et conseillère de la jeune princesse Anne, se fut ménagé dans l’intérieur du palais une autorité sans bornes.

Les Rieux se disaient aussi seigneurs du sang de Bretagne, et prétendaient descendre d’un petit-fils d’Alain le Grand. Lorsque le duc François II monta sur le trône, ils servaient déjà le roi suzerain depuis plusieurs générations, et avaient porté deux fois le bâton de maréchal de France. L’état princier qu’ils tenaient en leur beau château de Rieux ne suffisait plus à ces grands feudataires, et Paris les attirait par une invincible attraction. Cependant, entre toutes les familles dont la grandeur et l’ambition menaçaient l’autorité ducale, aucune ne lui avait été aussi fatale que celle de Clisson. Quoique son origine fût plus modeste que celle des hautes maisons baroniales dont nous venons de parler, elle l’emportait sur celles-ci par l’énergie de la passion, le génie politique et l’illustration militaire. Par momens serviteur, presque toujours ennemi de ses souverains, quelquefois assez puissant pour leur faire une guérie heureuse, toujours assez fort pour les faire trembler, possesseur de richesses mobilières à peine croyables, maître de près du quart du sol breton[1], Olivier de Clisson, que l’épée de connétable avait rendu Français, fut, avec et après Du Guesclin, l’un des instrumens providentiels de notre grande unité nationale. Il put travailler à cette œuvre avec un succès d’autant plus assuré que c’était au sein même de sa patrie qu’il avait pris son point d’appui pour la renverser.

Dans ces jours de transformation violente où les forces centripètes luttaient partout contre les forces centrifuges, les principautés provinciales encore subsistantes rencontraient dans leur propre sein des obstacles semblables à ceux qui arrêtaient dans le royaume la constitution du pouvoir monarchique; mais les ducs de Bretagne,

  1. On peut consulter, sur les possessions d’Olivier de Clisson, un acte rédigé par les commissaires chargés de régler les contestations du duc de Bretagne et du connétable. Cet acte se trouve, sous la date de novembre 1392, aux Preuves de l’Histoire de Bretagne de dom Lobineau (t. II, ch. 703). Après de longues supputations, les commissaires du duc et ceux du connétable y constatent que le nombre total de feux existant en Bretagne à cette époque n’était que de quatre-vingt-huit mille huit cent quarante-sept, tant les guerres civiles avaient ravagé le pays et réduit sa population. A six habitans par maison, ce chiffre ne représenterait en effet que cinq cent trente-trois mille quatre-vingt-deux âmes, nombre sur lequel Clisson comptait à lui seul plus de cent douze mille vassaux. Pour avoir la population totale de la Bretagne à la fin du XIVe siècle, après l’effroyable guerre de la succession, il faudrait ajouter aux chiffres consignés dans cet important document statistique celui des habitations exemptes de l’impôt du fouage, et l’on ne dépasserait guère un million d’habitans, c’est-à-dire le tiers environ du nombre actuel.