Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/486

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vie de son principal ministre cette vérité écrite que nous chercherons probablement toujours en vain. A défaut de Le Baud, nous rencontrons un autre contemporain qui ne paraît guère moins manquer de souci pour la vérité que d’aptitude pour l’observation. Basochien de son état, hâbleur et crédule de sa nature, Alain Bouchart publia, très peu d’années après la mort de Landais, ses Grandes Chroniques de Bretaigne, depuis le temps du roy Brutus jusqu’à la mort du duc François II[1]. C’est d’après cette indigeste et frivole compilation que dut, au XVIe siècle, se former l’opinion sur un homme qui avait fini par le gibet après un procès durant lequel ses adversaires seuls avaient parlé. Un dernier malheur allait atteindre la mémoire de Landais. En 1582, Bertrand d’Argentré publia à Rennes cette histoire de Bretagne, si pittoresque, si pleine de mouvement et de passion, monument parfois peu sûr dans ses appréciations, mais d’une valeur littéraire du premier ordre, et que, durant ses luttes séculaires contre l’arbitraire ministériel, la Bretagne a si souvent rappelé à bon droit à ses amis comme à ses ennemis. Gentilhomme et jurisconsulte, d’Argentré poursuivit d’une haine inextinguible, qui déborde à toutes ses pages, l’insolent ouvrier qui avait osé porter la main sur un chancelier de Bretagne. Il répéta donc, en leur donnant le poids de son autorité, toutes les accusations d’Alain Bouchart. Les bénédictins ont à leur tour répété d’Argentré, et condamné, quoique avec certains doutes et certaines réserves, l’homme qui, « s’il eut tous les vices ordinairement attachés à une naissance obscure, possédait un génie souple et profond, et trouvait dans sa politique déliée des ressources toujours prêtes, qualités ternies par une avarice sordide, par un esprit cruel et vindicatif, et surtout par un orgueil qui le rendit insupportable aux grands, qui le sacrifièrent enfin à leurs ressentimens[2]. »

Un fait qui ne paraît pas de nature à pouvoir être contesté, c’est la condition obscure d’où cet homme s’éleva à la première dignité politique de son pays par un concours de circonstances dont la connaissance nous échappe. « Il était de Vitré, né dans le faubourg du Rachat, d’un père qui était tailleur d’habits. Il était venu au monde avec un esprit vif et intrigant. Le premier pas qu’il fit pour sa fortune fut d’entrer au service d’un tailleur du duc, lorsqu’il n’était encore que comte d’Estampes. Il y apprit parfaitement son métier, et eut souvent occasion d’entrer dans la chambre du duc et de lui essayer ses habits. Cela donna lieu au duc de le connaître; il s’en servit pour quelques commissions secrètes, et à la faveur de ces pe-

  1. L’édition dont je me sers est l’édition Goth, in-4o; Paris 1518.
  2. Dom Taillandier, continuateur de dom Morice, Histoire de Bretagne, t. II, p. 155.