Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/506

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des lazzi peu dignes du Théâtre-Italien. J’engage aussi M. Angelini, dont la voix de basse est solide, à ne pas faire plus d’esprit qu’on ne lui en demande dans le rôle de Basile et dans l’air de la calunnia, qu’il ne chanterait pas mal, s’il voulait être modeste. La modestie, qui est une vertu théologale, conviendrait aussi à M. Bonnetti, le chef d’orchestre, qui précipite tous les mouvemens, ne fait observer aucune nuance, et fait de la musique du Barbier de Séville un hachis de notes sans forme et sans couleur. M. Bonnette ne comprend bien que la musique de M. Verdi, et lorsqu’on ne comprend que cela, on n’est pas un bon chef d’orchestre. Ne cessons pas de répéter ce lieu commun, que la puissance de la musique, comme celle de tous les arts, est tout entière dans l’observation des nuances, et que sans les nuances, qui constituent le caractère d’une œuvre, la musique n’a plus que des effets grossiers de rhythme et de sonorité dont on est bientôt fatigué. M. Mario a été plus heureux dans Rigoletto, où il chante le rôle du duc de Mantoue avec beaucoup de distinction et de soin. Sa voix nous a paru moins fatiguée et moins hésitante dans cette œuvre de M. Verdi, dont on a fait répéter le beau quatuor du quatrième acte. Mlle Battu aussi, dans le personnage gracieux de Gilda, qu’elle abordait pour la première fois devant le public, s’est montrée habile et intelligente, si ce n’est suffisamment passionnée. A tout prendre, l’administration de M. Calzado, dont le privilège a été prorogé jusqu’au mois d’octobre 1864, paraît animée d’un vif désir de satisfaire le goût des amateurs par une plus grande variété dans le répertoire. La troupe qu’elle a réunie cette année, et qui se compose d’artistes comme MM. Mario, Graziani, Badiali, Zucchini, Ronconi, Angelini, Mmes Alboni, Penco et Battu, est l’une des meilleures qu’on puisse avoir par ce temps d’extrême concurrence où cent théâtres se disputent au poids de l’or le peu de virtuoses que produit l’Italie. Il ne manque vraiment à la troupe qui dessert cette année le Théâtre-Italien de Paris qu’un bon chef d’orchestre qui ait l’intelligence des mouvemens et des nuances, qu’un maestro qui sache faire respecter l’esprit de l’œuvre qu’on interprète.

A l’Opéra aussi on fait de louables efforts pour maintenir ce grand théâtre à la hauteur de sa réputation. Mme Vandenheuvel y continue ses débuts avec succès et prend possession de tous les rôles de son répertoire. Elle a chanté Lucie avec un talent incontestable qu’on voudrait admirer sans restriction. Quel dommage que cette noble artiste, qui chante avec tant de goût et d’intelligence, n’ait pas été plus richement douée par la nature, et qu’on soit obligé de lui souhaiter souvent une voix plus jeune, plus étoffée, et moins d’artifices visibles dans la réalisation des effets qu’elle conçoit! En lui entendant chanter l’autre soir l’air du troisième acte de Lucie avec une bravoure qui m’inspirait du respect, je me disais tacitement en moi-même : Un peu plus de grâce naturelle et de charme ferait bien mieux mon affaire. Cette belle partition de Donizetti, interprétée par une artiste digne de ce nom, pourquoi me laisse-t-elle désirer une forme plus simple et plus de vérité dans l’expression du plus puissant des sentimens, l’amour? Une lavandière chantant au fond des bois une chanson émue et chaude du souffle de l’âme me procurerait un plaisir d’un ordre plus élevé et plus sain que ce que j’éprouve au premier théâtre lyrique du monde. Ah ! Goethe a rai-