Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceau que le maître a écrit à Londres pour Mme Nantier-Didiée, il n’y a pas lieu de s’en émerveiller beaucoup : c’est une canzonetta italienne qui n’ajoute rien au mérite de la partition. J’ignore si le théâtre de l’Opéra-Comique a trouvé la récompense de son étrange entreprise; mais nous ne lui voterons pas pour cela des actions de grâces. On attend de l’Opéra-Comique autre chose que des opérettes en un acte avec lesquelles il semble vouloir faire concurrence aux Bouffes-Parisiens.

Le Théâtre-Lyrique, à qui le destin rend la vie si rude et si difficile, s’ingénie de toutes les manières pour varier son répertoire et pour attirer dans les lointains climats où il est encore confiné l’élite des amateurs qui peuvent seuls le faire exister. L’administration a eu la pensée de s’approprier le Val d’Andorre de M. Halévy, dont la première représentation à l’Opéra-Comique remonte au 11 novembre 1848. Par le temps où nous sommes, c’est beaucoup qu’un opéra puisse être représenté devant le public douze ans après sa naissance. Que j’en ai vu mourir, de jeunes partitions qui faisaient le bonheur de leurs pères, et qui, après trente ou quarante représentations brillantes, se sont paisiblement endormies dans le magasin de l’éditeur! M. Halévy lui-même a bien souvent porté le deuil des enfans de son esprit qu’il croyait sans doute les mieux venus et les mieux doués. M. Halévy est pourtant un maître, un compositeur d’un ordre élevé, dont il faut toujours parler avec un certain respect. Il a de la grandeur dans le style et dans la pensée, il vise haut, il fuit les banalités et cherche des effets nouveaux, quelquefois avec trop de tension et d’efforts. Il n’y a pas un opéra de l’auteur de la Juive, de la Reine de Chypre, de Charles VI, etc., qui ne renferme des beautés réelles. Sa mélodie, quand il en trouve, a une couleur qui lui est propre, un accent pénétrant, un caractère tout à la fois tendre et religieux. Le dirai-je? M. Halévy, comme Mendelssohn, révèle dans son œuvre la race intelligente et forte à laquelle il appartient. Ce qui manque peut-être à M. Halévy, c’est la fantaisie libre, cette partie flottante de la poésie musicale qui circule au-dessus et au-delà du sens logique de la parole et qui enveloppe la situation dramatique d’un nuage qui vous charme et vous enivre, quoi qu’on en ait. M, Halévy, qui est un esprit délié et un écrivain disert, comme il nous serait facile de le prouver par le livre qu’il vient de publier. Souvenirs et Portraits, M. Halévy, disons-nous, mêle à ses inspirations trop d’ingéniosité et ne s’abandonne pas suffisamment à cette folle du logis dont parle Montaigne, qui est souvent la plus précieuse et la plus sage de nos facultés. En précisant davantage nos scrupules et nos réserves, nous dirons par exemple que M. Halévy a souvent l’imprudence de construire ses morceaux d’ensemble avec des accords et des modulations qui, lorsqu’ils ne sont pas rattachés à un dessin mélodique saisissable, n’ont pas d’autre raison d’être que la volonté du compositeur. Il en résulte très souvent que des actes entiers dans les ouvrages de M. Halévy produisent une grande monotonie qui gâte l’effet général. Aussi sommes-nous convaincu que si M. Halévy, au lieu d’écrire une vingtaine d’opéras, eût condensé ses efforts dans cinq ou six ouvrages comme la Juive et la Reine de Chypre, sa renommée et ses intérêts s’en fussent mieux trouvés.

Le sujet du Val d’Andorre est un gros mélodrame un peu dans le genre