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et vous arrachera quelques bons éclats de rire que vous n’aurez pas à vous reprocher, ce que vous ne pouvez probablement pas toujours dire des éclats de rire que vous arrachent les spectacles modernes. Êtes-vous assez exempt de préjugés pour ne plus vous laisser abuser par les rabâchages débités d’un ton solennel et par les pompeuses inutilités ; êtes-vous ennuyé des platitudes mélodramatiques, et en un mot êtes-vous pour votre bonheur assez blasé pour n’être plus amusé que par les œuvres où se rencontre un grain d’originalité, aussi petit qu’il soit : eh bien ! alors, bravant l’habitude, allez-vous-en courageusement aux Variétés par exemple, voir la pièce de M. Henri Meilhac, Ce qui plaît aux Hommes. Cette pièce, qui est la contre-partie de la comédie de M. Ponsard, n’est certainement pas bonne ; mais elle contient une idée excellente, et c’est plus qu’on ne pourrait dire de la plupart des pièces contemporaines : l’idée est même si jolie, qu’il serait dommage qu’elle fût perdue. L’auteur n’a pas aperçu la bonne fortune que son imagination lui fournissait, et il serait à souhaiter qu’un écrivain plus heureux reprît cette idée et lui fît rendre ce qu’elle pouvait facilement donner : une critique dramatisée de notre théâtre contemporain. Imaginez en effet les personnages du monde de l’art, le peuple issu de Shakspeare et de Molière, en quête de plaisirs excentriques, se donnant par manière de divertissement le spectacle d’une comédie réaliste. Voyez-vous d’ici leur étonnement ? entendez-vous leurs éclats de rire ? voyez-vous leur indignation et peut-être leurs larmes en face de ces réalités qui leur paraissent des chimères, de ces platitudes qui prennent à leurs yeux des proportions extravagantes ? Les voyez-vous variant à l’infini les dégoûts délicats du chevalier de la Critique de l’École des Femmes, et répétant le mot réalité avec l’effroi dédaigneux que ce célèbre personnage ressent pour le mot tarte à la crème ? Il y avait dans cette idée une critique très fine du théâtre contemporain, et nous regrettons pour le jeune auteur de l’Autographe qu’il ait passé à côté de son sujet sans l’apercevoir.

La critique dramatique, qui ne se paie pas de mots, mais de raisons, et qui n’accepte pas les œuvres sur leur étiquette, mais sur leur valeur intrinsèque, sera donc plus d’une fois à notre époque forcée de déroger et d’aller en voyage à travers les théâtres inférieurs. Ce voyage n’est pas sans périls, et ne doit jamais être fait à l’étourdie ; cependant on peut le pousser très loin, si l’on sait bien s’orienter. Ainsi vous pouvez aller sans scrupule à un petit théâtre qui porte le nom de Mlle Déjazet les soirs où l’on jouera une petite comédie intitulée M. Garat, par M. Victorien Sardou. Cette légère comédie, qui n’a d’autre prétention que celle de vous amuser un instant, vaut mieux littérairement que bien des œuvres pompeuses qui auraient tort de la regarder avec trop de dédain. Le verre de M. Sardou est bien petit, mais il boit dans son verre. Vous pourrez observer, en écoutant cette petite comédie, un des efforts les plus curieux, parce qu’il est un des plus naïfs et des moins réfléchis de nos jeunes auteurs dramatiques. Il y a une tendance chez la plupart des jeunes auteurs dramatiques à transformer le vaudeville en comédie, et cette tendance vague, que depuis longtemps on avait pu remarquer, vient de se déclarer ouvertement dans les pièces amusantes de M. Sardou, M. Garat et les Pattes de Mouche. Ces pièces ne sont, à propre-