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que le temps viendra où ce sera une disgrâce pour tout enfant de la Grande-Bretagne que de ne point savoir manier les armes. À l’organisation des corps libres se rattachent d’ailleurs d’autres exercices d’adresse qui doivent augmenter les forces et la puissance de la race. Le théâtre des faits change avec le point de vue : c’est à Londres et dans toute la Grande-Bretagne qu’il nous faudra suivre le mouvement des volontaires ; mais c’est à l’école de Hythe que nous devrons étudier une des applications les plus intéressantes du nouveau système de défense[1].


I.

Le 23 juin 1860, j’assistais dans Hyde-Park à la grande revue des volontaires. M’étant rendu de bonne heure sur le terrain où devait se déployer cette scène imposante, j’eus tout le temps d’observer non-seulement l’arrivée des nombreux régimens aux diverses couleurs qui défilaient l’un après l’autre, musique en tête, mais encore le spectacle non moins curieux de la foule qui grossissait de moment en moment. Les mieux avisés, ayant prévu que la multitude formerait autour du champ de manœuvres un mur impénétrable aux regards, avaient déjà choisi dans les alentours des situations élevées d’où ils pussent dominer la plaine. Une des portes du parc de Saint-James, marble arch, qui fait vis-à-vis à la principale entrée de Hyde-Park et que surmonte la statue équestre de Wellington, était toute noire de têtes, et quelques spectateurs, réduits par la distance à la taille de pygmées, se tenaient debout jusque sous le ventre du cheval de bronze. Dans Hyde-Park, la colossale statue d’Achille qui s’élève sur une espèce de tertre n’avait pu de son côté, malgré ses airs menaçans, intimider le flot des envahisseurs[2]. Le mob avait pris d’assaut toutes les éminences. Les vieux arbres du parc étaient chargés de jeunes ouvriers qui, avec une force et une agilité de quadrumanes, avaient réussi à grimper de branche en branche jusqu’au sommet. Ainsi perchés, ils attendaient avec insouciance l’arrivée de la reine, tandis que les rameaux inférieurs, de plus en plus escaladés, s’abaissaient et gémissaient sous de nouvelles grappes de

  1. Voyez sur les autres questions relatives aux institutions militaires de la Grande-Bretagne la Revue du 15 septembre et du 15 octobre 1860. Voyez aussi, pour l’ensemble de cette série, la Revue du 15 septembre 1857, 15 février, 15 juin, 15 novembre 1858, 1er  mars, 1er  septembre et 15 décembre 1859, 15 avril 1800.
  2. Cette statue, qui représente le duc de Wellington sous les traits d’Achille, fut modelée par sir Richard Westmacott et coulée avec des canons pris dans les batailles de Salamanque, de Vittoria, de Toulouse et de Waterloo. Elle fut élevée par une souscription de ladies, qui atteignit le chiffre de 10,000 livres sterling. On y lit l’inscription suivante : « Dédiée par les femmes d’Angleterre à Arthur, duc de Wellington, et à ses braves compagnons d’armes. 18 juin 1822. »