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pour la défense du pays. On pourrait remonter très haut dans l’histoire et trouver que cette loi de salut public a été plus d’une fois mise en pratique. Lorsque la flotte espagnole, la fameuse armada, menaçait les côtes de la Grande-Bretagne, les citoyens se levèrent et coururent aux armes pour repousser l’envahisseur. Vers la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, les événemens réveillèrent, avec les forces latentes de la nation, l’exemple de ce qu’avaient fait les ancêtres. « Les esprits de nos pères, dit un poète anglais, sortirent des vagues et nous apprirent comment on conjurait les dangers d’un ennemi obligé de traverser l’Océan. » Pour nous autres Français, cette période de 1798 à 1815 est de l’histoire d’hier ; pour les Anglais, qui ont bonne mémoire, c’est de l’histoire d’aujourd’hui. On ne saurait nier en effet que les récentes paniques dont l’agitation persiste encore et qui ébranlèrent si fort, il y a deux années, l’atmosphère pacifique de la Grande-Bretagne, n’aient été le contre-coup des alarmes que causèrent, il y a un demi-siècle, aux Anglais l’état de la France, de sombres préparatifs militaires et une soif de conquêtes toujours croissante. Les mêmes frayeurs devaient appeler les mêmes moyens de défense : c’est donc dans le mouvement des volontaires passés en revue par George III qu’il nous faut chercher les racines de la nouvelle milice que vient de se donner l’Angleterre.

L’invasion des îles britanniques n’est pas non plus dans l’histoire militaire de la France une idée nouvelle. Il existe à ce sujet dans les cartons de notre ministère de la guerre des plans et des études qui, si je suis bien informé, remontent à Louis XIV. Les théories des hommes de guerre furent même soumises par deux fois à l’épreuve de la pratique. Vers la fin du dernier siècle, les circonstances étaient extrêmement favorables au succès d’une telle entreprise, et il me suffira de les rappeler en peu de mots. La guerre d’Amérique venait de finir, — non tout à fait à l’honneur des armes anglaises. Le roi George III penchait à la démence ; l’Irlande s’agitait et menaçait de se séparer du royaume-uni. Une publication récente[1] vient de jeter une lu-

  1. The Cornwallis Correspondence, 1860. Le marquis de Cornwallis avait servi avec distinction en Allemagne et en Amérique. Il fut ensuite gouverneur-général et commandant en chef dans l’armée des Indes. À son retour, il remplit durant quelques années la charge de grand-maître de l’artillerie. Il fut envoyé à Dublin pour comprimer en 1798 la grande insurrection irlandaise. En 1805, il s’employa à négocier la paix d’Amiens. L’ouvrage qu’on vient de publier contient les notes et les lettres de cet homme éminent, qui a vu de près les grands hommes politiques et l’état du pays à la fin du dernier siècle. Il avait refusé dans le ministère un portefeuille qui lui avait été offert par William Pitt. Ses révélations historiques, comme on dit maintenant, n’auraient pu paraître du vivant de l’auteur à cause du caractère d’indépendance qui les distingue ; mais elles seront accueillies avec joie par tous les hommes curieux de pénétrer les mystères d’une époque.