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protestant, le docteur Stock. Ce dernier a laissé un journal intéressant de tout ce qui se passa dans la ville durant l’occupation des Français, et c’est à cette source que je puiserai quelques renseignemens sur le caractère d’une expédition si étrange et trop peu connue. Il est curieux de retrouver dans ce récit l’étonnement naïf des habitans de Killala et du bon évêque lui-même à la vue de nos soldats de la république, pâles, maigres, presque livides, mal vêtus. La moitié d’entre eux avaient servi en Italie, les autres étaient les restes de l’armée du Rhin : tous portaient dans leur constitution altérée les traces de glorieuses souffrances et de campagnes qu’avait suivies la victoire. À première vue, on aurait dit que ces hommes de petite taille, avec cet air de faiblesse, étaient incapables de supporter les fatigues et les privations de la guerre. Leur conduite donnait pourtant le plus vigoureux démenti aux apparences : ils vivaient de pain et de pommes de terre, buvaient de l’eau, faisaient leur lit des pierres de la rue, dormaient sans autre couverture que leurs vêtemens, et n’avaient pour toit que la tente du ciel. L’évêque rend pleine justice à leur intelligence, à leur activité, à leur patience invincible, à leur courage, qui s’associait à un fort sentiment de la discipline. Il les préfère de beaucoup à leurs alliés les Irlandais. Humbert avait déclaré que ses soldats s’abstiendraient de toute violence, et qu’ils ne prendraient que ce qui était strictement nécessaire pour leur nourriture. Cette promesse fut religieusement observée. On eut même devant les yeux l’étonnant spectacle d’un évêque anglais gardé ainsi que son petit troupeau par les envahisseurs et protégé par eux contre la rapacité des rebelles irlandais, qui continuaient d’agiter le pays.

C’était pourtant sur l’insurrection irlandaise que le général Humbert comptait appuyer son coup de main. À ce point de vue, il venait trop tard : la tête du mouvement avait été tout récemment abattue par une sanglante défaite. La place du débarquement était d’ailleurs mal choisie ; c’était plus au nord qu’il eût fallu jeter cette force envahissante pour trouver une base d’opérations dans l’état des esprits et dans les bandes d’insurgés qui résistaient encore. Le général français avait apporté dans son vaisseau des armes, des munitions et des uniformes qu’il distribua aux paysans de Mayo ; mais c’était une race simple et presque sauvage qui ignorait l’usage des armes à feu, et que le bruit du canon devait mettre en fuite à la première rencontre. Réduit à ses faibles ressources, Humbert n’hésita point, et, sans regarder en arrière, il s’élança, le lendemain de son arrivée, sur Ballina. La garnison anglaise de Ballina s’enfuit à l’approche des Français, et Humbert, encouragé par ce succès, poussa jusqu’à Castlebar. Sa petite armée était maintenant réduite à huit cents hommes ; il avait fallu en effet laisser deux cents soldats à