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Park une partie de la grille de Green-Park avait été déracinée, tordue, emportée par cet océan qui s’était élancé à travers la brèche ouverte. On se demandera peut-être où était la police : elle n’était point absente ; mais à Londres on aime mieux avoir quelques dégâts à réparer que de lutter, en l’irritant, contre la force irrésistible des masses. Cette journée a singulièrement relevé la confiance des Anglais dans leurs moyens de défense nationale. Durant toute la revue, il m’avait été impossible de saisir dans la ferme attitude des volontaires, non plus que dans les libres conversations des groupes, la moindre trace de provocation ni de défi contre l’étranger ; mais le lendemain le ton de la presse anglaise annonçait une assurance hautaine. Se tournant alors vers le continent et répondant sans doute à des intentions imaginaires, un des journaux de Londres les plus répandus, le Daily Telegraph, s’écriait : « Venez maintenant, si vous l’osez ! »

Au milieu de quelles circonstances et comment s’était organisée la nouvelle armée civile que nous avons vue manœuvrer dans Hyde-Park ? C’est une question à laquelle il nous faut maintenant répondre. Dès 1855, quelques corps de métiers avaient proposé de se former en volontaires. Le gouvernement anglais avait alors décliné leurs services, donnant pour raison que rien dans l’état de l’Europe ne motivait une telle mesure. Est-il nécessaire de rappeler les causes qui ébranlèrent, deux ou trois années plus tard, la confiance que les hommes d’état et le pays avaient placée dans ces assurances de paix ? Les préparatifs maritimes de la France, qui ont été peut-être exagérés, les fortifications de Cherbourg, l’invention des frégates cuirassées, le ton belliqueux et agressif de certaines brochures, qui eurent le malheur de traverser la mer, firent naître tout à coup des soupçons que je veux croire injustes. Dans un autre temps, ces brochures eussent passé inaperçues à côté des mille manifestations d’une presse libre. Dans les circonstances où ces écrits se produisaient, les menaces se détachèrent en lettres rouges sur le fond noir du silence. Est-ce à dire que tout le mal de la peur vînt d’au-delà des mers ? Non vraiment : les inquiétudes naquirent surtout de l’intérieur. Depuis long-temps, les habitans de la Grande-Bretagne professaient dans les avantages de leur position géographique, dans la force de leur race et dans l’idée de la patrie invulnérable, une foi trop absolue qui devait tôt ou tard se démentir. Ces idées avaient surtout cours dans les campagnes, où l’on croyait volontiers qu’un Anglais vaut trois Français, que le drapeau qui a si souvent bravé la bataille et la tempête doit nécessairement envelopper dans ses plis la victoire, et que le nall dog spirit répond à tout. De même que ces divinités d’Homère qui sur le champ de bataille échappaient à la lance des combattans en se couvrant d’un