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dire que le cours habituel d’instruction militaire a été beaucoup simplifié en s’appliquant aux libres riflemen ? Ce cours est naturellement graduel et peut se diviser en trois temps : on commence par les positions, la marche, les mouvemens ; vient ensuite la pratique du fusil, à laquelle succède l’exercice à feu. L’armée des volontaires constitue, ne l’oublions pas, une armée distincte, qui a un type à elle, un but particulier, une raison d’être. Les Anglais lui demandent d’être utile au besoin sur le champ de bataille et d’acquérir tout ce qu’il faut pour cela, mais rien de plus. Ce programme exige déjà, on le pense bien, une somme d’efforts considérable. Les hommes de l’art estiment qu’il faut trois ans pour faire un soldat. À ce compte, les volontaires, dont les plus anciens corps ne remontent guère à plus de dix ou douze mois, ne seraient encore guère avancés ; mais il faut remarquer que les recrues de l’armée anglaise sortent d’une classe ignorante et grossière, tandis que les riflemen, presque tous jeunes, bien élevés et intelligens, apportent avec eux des aptitudes et des conditions morales bien différentes. Aussi à peine ont-ils été sous les armes que tout le monde a été étonné de la rapidité de leurs progrès. Je dois pourtant avouer que les sergens instructeurs anglais n’aiment point les raisonneurs. Leur principe est que sur le champ de manœuvres un homme est une machine, et qu’il doit faire selon le commandement, sans penser à rien. En conséquence, plus d’un gentleman, habitué dans l’université d’Oxford ou de Cambridge à demander le comment et le pourquoi des choses, reçut d’eux de rudes leçons. L’ardeur des riflemen ne se rebuta point de ces épreuves ni de ces commencemens pénibles. La volonté, qui est le fond du caractère anglais, alla même quelquefois jusqu’à l’excentricité. On raconte qu’un commis-voyageur, obligé de changer continuellement de résidence et d’aller pour son commerce d’une ville dans une autre ville, portait toujours avec lui sa carabine. Au moment où les volontaires de l’endroit qu’il traversait ce jour-là allaient commencer l’exercice, il s’approchait l’arme au bras du capitaine et lui demandait la permission de se mêler dans les rangs. Une telle opiniâtreté méritait d’être couronnée de succès ; aussi fut-il remarqué dans plus d’une localité par la manière dont il exécutait les évolutions. La patience et le zèle des autres volontaires résistèrent avec non moins de force d’âme aux pluies presque continuelles d’un déplorable été. Un jour d’averse, le vicaire d’une paroisse du Kent, grand partisan du mouvement des volontaires, — et il n’est pas le seul dans le clergé anglais, — assistait, comme moi, par curiosité, à l’exercice. Ravi de la fermeté de ces citoyens sous les armes, qui recevaient l’ondée sans broncher, sans même avoir l’air de s’en apercevoir, il me dit en riant : Aquæ multæ non potuerunt