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tions pour acheter des étendards de soie et des clairons en argent qu’elles offrent ensuite elles-mêmes aux volontaires. Ces présentations de couleurs et de bugles donnent lieu à des cérémonies intéressantes. Le corps est sous les armes ; en face de lui se tient un groupe de ladies en grande toilette, les épouses, les sœurs, les filles des officiers et des soldats. De ce groupe se détache une femme ou une jeune fille qui présente l’offrande au nom de ses compagnes, et qui le plus souvent harangue elle-même les riflemen. La qualité des personnes varie naturellement avec les localités. Ici c’est la duchesse de Wellington, dont le mari est commandant des Victoria rifles ; là c’est, comme à Durham, lady Susan Vane Tempest, qui arrive sur le terrain des manœuvres avec la marquise de Londonderry dans une voiture tirée par quatre chevaux gris ; ailleurs ce sont des femmes de la classe moyenne dont les présens et les paroles n’en sont pas pour cela moins bien reçus. Si l’on tient à s’expliquer cette part active que prennent les Anglaises au succès des volontaires, il ne faut point perdre de vue que le mouvement se rattache par des liens très intimes à la vie de famille. C’est pour défendre leurs foyers, c’est au nom de leurs femmes et de leurs enfans, et pour que ceux-ci puissent reposer en paix sous le toit de la maison ou l’arbre du jardin, que les Anglais de toutes les classes ont abandonné pendant l’hiver le coin du feu et couru à l’exercice des armes. On ne s’étonnera donc plus que les femmes d’Angleterre aient sympathisé avec la nouvelle institution de toute l’énergie de leur âme. Ceci explique en outre les discours enthousiastes qu’elles adressent aux riflemen en leur remettant certains témoignages d’estime et d’encouragement. « Amis et messieurs, s’écriait l’une d’elles à une cérémonie où j’étais présent, le devoir des femmes est de s’attacher à leurs époux, à leurs fils, comme le lierre au chêne ; le devoir du chêne est de nous protéger. Allez donc, armes en main, pour que nous puissions rester en sûreté au sein de nos familles. Quand ces couleurs flotteront dans l’air, quand ce cor sonnera, songez à vos mères, à vos épouses, à vos sœurs, à vos bien-aimées (sweet-heurts), et, si le jour du danger arrive, soyez prêts à les défendre[1] ! »

  1. Cette participation morale des femmes dans le mouvement des volontaires, et peut-être aussi quelques plaisanteries du Punch, auront sans doute donné lieu de croire qu’elles songeaient à s’enrôler dans la nouvelle milice. Un journal français annonça qu’une société de ladies s’était levée comme un seul homme pour aider les riflemen dans la défense du pays. Une gravure venue de Paris représentait même trois riflewomen, — trois jeunes et belles amazones, — en plein costume militaire. Cette gravure fut reproduite à Londres par le Lady’s Newspaper. À cette facétie, les femmes anglaises répondirent avec assez de dignité, par l’organe du même journal, qu’elles n’avaient jamais eu l’idée qu’on leur prêtait, mais que, si leur pays était menacé, elles useraient de toute leur influence sur le cœur de leurs maris, de leurs frères et de leurs parens, pour que ceux-ci défendissent les droits et les libertés de l’Angleterre. Ce n’est pas d’ailleurs dans la Grande-Bretagne, où la division des devoirs est aussi bien marquée que celle du travail, qu’on peut craindre de voir le rôle des sexes interverti.