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propre expression, dans les eaux inférieures de la société, pour atteindre le fond si riche et si étendu des ressources nationales ?

D’un autre côté, les compagnies d’ouvriers, en trop petit nombre, formées dès l’origine du mouvement, se font remarquer, comme les canonniers elles riflemen de l’arsenal de Woolwich ou du Dockyard, par leur adresse à manier les armes. Après tout, le canon ou la carabine est un outil, et l’on ne sera point surpris qu’il obéisse plus volontiers aux mains déjà habituées à traiter avec les instrumens de travail. Cela me connaît est surtout un axiome incontestable dans la bouche des artisans anglais, qui passent pour les meilleurs mécaniciens du monde. Si nous regardons à d’autres qualités militaires, n’est-ce point dans la classe des hommes de peine, roche primitive, que résident surtout le caractère viril, l’activité, la force des bras, l’énergie et la rudesse de volonté qui distinguent la race anglo-saxonne ? Ces faits, qu’il était difficile de ne point reconnaître, devaient donner lieu à de sérieuses réflexions chez tous les hommes qui s’intéressent au développement de la nouvelle armée. On s’est demandé avec lord Elcho si la dépense n’était point le rocher contre lequel échouerait un jour le mouvement des volontaires, s’il doit jamais échouer. Le chiffre de ces dépenses avait été inutilement grossi dans les premiers temps par l’amour de la parade et la vanité. L’équipement seul avait coûté pour chaque homme, dans certains régimens, jusqu’à la somme énorme de 50 guinées[1]. De telles charges pécuniaires équivalent pour les ouvriers à un bill d’exclusion, et dès lors est-il étonnant que dans l’origine le mouvement se soit trouvé restreint aux classes supérieures et moyennes ? Abaisser l’obstacle d’argent est donc le premier moyen qui se soit présenté à l’esprit des Anglais pour reculer les limites de l’institution. Ici néanmoins surgirent divers systèmes. Les uns voulaient que les volontaires incapables de subvenir aux frais d’habillement fussent aidés par l’état ; mais une telle mesure eût altéré le caractère de la nouvelle arme, dont le trait essentiel est l’indépendance, et l’eût assimilée à la milice. D’autres proposèrent de lever des souscriptions parmi les riches pour couvrir le plus fort de la dépense ; c’était encore méconnaître la fierté des ouvriers anglais, dont plusieurs auraient décliné ce patronage[2]. Restait en dernier lieu à rendre le prix de l’uniforme accessible à tous, et c’est le projet auquel on s’est arrêté. Sur ce nouveau terrain, l’obstacle est venu des ouvriers eux-mêmes.

  1. Ces compagnies payaient en outre 5 et 600 livres sterling par an pour leur bande de musiciens. On calcule que les dispenses de ces soldats amateurs doivent s’élever à plus d’un million de livres sterling.
  2. « Nous ne voulons point recevoir l’aumône dans l’accomplissement d’un devoir, » répondirent des artisans auxquels on proposait ce moyen d’entrer dans la nouvelle organisation militaire.