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Un avocat de Londres avait cru bien faire en offrant aux travailleurs le modèle d’un uniforme qui, vu la grande simplicité, ne serait guère revenu à plus d’un souverain, et il proposait de s’engager lui-même dans la future compagnie. Nul d’entre eux ne répondit à l’appel, et son nom resta seul en tête de la liste. On voit par là que les ouvriers tiennent à marcher sur un pied d’égalité avec les autres citoyens dans les rangs de la nouvelle armée. L’expérience a démontré qu’un prix raisonnable (2 livres sterling 10 shillings) était ce qui satisfaisait le mieux à l’amour-propre et aux moyens pécuniaires de la classe laborieuse. Ce n’était d’ailleurs pas encore tant le chiffre élevé de la somme qui éloignait les artisans, c’était l’obligation de la payer en bloc à leur entrée dans le corps. On a aplani ce dernier obstacle en divisant les versemens par semaine, et aujourd’hui l’accession de toutes les classes est assurée au mouvement. Le gouvernement a beaucoup aidé à ce résultat en faisant des concessions de fusils et de poudre auxquelles il ne s’était point engagé d’abord. Dois-je affirmer pourtant que tous les volontaires se sont équipés à leurs frais ? Il y en a sans doute quelques-uns qui ont reçu un secours de leurs camarades ; mais en général ceux qui doivent tout à leurs économies, — et ils sont cent contre un, — s’estiment plus eux-mêmes, étant dans le véritable esprit de l’institution.

Il n’y a plus guère qu’une question à résoudre : les ouvriers doivent-ils s’amalgamer à la classe moyenne en remplissant les cadres déjà formés, ou bien doivent-ils constituer des corps à part ? Ces deux systèmes rencontrent aujourd’hui de chauds partisans. De grands efforts ont été tentés dernièrement dans le sens d’un rapprochement de toutes les classes, et je ne dirai point que ces efforts aient échoué. Des régimens qui comptent à leur tête des noms célèbres ont déjà réussi à attirer dans leurs rangs un assez grand nombre d’hommes appartenant aux professions manuelles, et pourtant en général ces derniers préfèrent s’organiser entre eux. Ils suivent après tout en cela l’exemple de la classe moyenne, où les avocats, les altistes et les employés se sont groupés sous les armes en observant plus ou moins le système des catégories. Des brigades de workmen naissent de même aujourd’hui sur tous les points de l’Angleterre. Dans les deux cas, l’armement de la famille des travailleurs, sans jalousies, sans rivalités, sera pour l’histoire des volontaires le trait distinctif de la fin de l’année 1860. Ainsi se complète un mouvement qui jusqu’ici présentait plus de surface que de profondeur. En admettant la parole des Anglais, que la population civile est, comme moyen de défense, une excellente mine qui n’a point encore été explorée, tout le monde conviendra qu’il faut la creuser jusqu’aux dernières couches pour en connaître au juste les richesses. Là, c’est-à-dire au fond, se trouvent du moins la force