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III.

Le 2 juillet 1800, j’avais pris, avec tous les curieux de Londres et des environs, le chemin de Wimbledon, où devait avoir lieu le premier grand shooting match. Les deux lignes de fer qui convergent vers ce village du Surrey, situé à quelques milles de la métropole, étaient assiégées par des flots de voyageurs. Ce jour-là, toute distinction de classes s’était effacée sous l’attrait du plaisir, et l’on vit de riches patriciens trop heureux de s’entasser avec la plèbe dans les mêmes wagons pour réduire la distance qui les séparait du théâtre de la fête. Wimbledon, que je visitais alors pour la première fois, s’élève dans une position charmante au milieu d’une plaine à perte de vue, ornée de bouquets d’arbres à fruit, de riches cultures, de quelques mares d’eau formées par les pluies, et couronnée à l’horizon d’un cercle de collines, dont les pentes douces et boisées se confondent par un mouvement harmonieux avec la couleur vert foncé et le caractère tranquille du paysage. Le village, dont je n’ai vu que quelques maisons élégantes, séparées par des jardins, est un des derniers en Angleterre qui soient encore soumis à la dîme. Cet ancien droit féodal, que les habitans de Wimbledon n’ont point racheté, a fini avec le temps, m’a-t-on dit, par tomber dans la main d’un Juif. Non loin de là est une maison de campagne où Voltaire a demeuré durant son exil, et où il apprit à méconnaître Shakspeare. Le grand attrait de Wimbledon dans la circonstance, et ce qui l’avait désigné au choix du conseil de l’association pour le concours des armes à feu, est son common ou sa « bruyère (heath). Il est difficile en effet de trouver dans les environs de Londres une si vaste étendue de terres découvertes qui ait échappé au système de clôture. À mesure que la ville envahissante étend ses lignes de rues dans toutes les directions, ces endroits deviennent rares, et les tireurs n’envisagent pas sans tristesse le temps plus ou moins éloigné où, Londres ayant encore accru sa circonférence, les derniers commons se trouveront sans doute convertis en parcs. L’espace est la première condition pour le théâtre d’un tir à la carabine (rifle ground), et sous ce rapport on ne peut désirer rien de mieux que cette grande surface plate couverte d’herbes sauvages et de genêts épineux. À droite, Wimbledon-Common est borné par le mur d’un immense parc qui appartenait jadis, à la noble maison de Somerset, mais qui aujourd’hui, morcelé et dépecé en lots de terrains, a passé dans les mains de la classe moyenne, qui se hâte d’y bâtir de charmantes villas. Sur la gauche, l’œil ne découvre point de limites. Un ami qui habite le village m’avait conduit le matin dans cette direction à une source entourée d’un mur circulaire de briques, et qui porte dans la localité