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ment entassés les os et les crânes des anciens Danois[1] ; mais tout cela ne saurait voiler l’état de décadence où est tombée cette antique cité maritime. J’avais vu que Hethe, Hede ou Hythe, car la ville porte tous ces noms dans les anciennes chroniques, venait d’un mot saxon qui voulait dire port de mer. Il est certain en effet que, du temps des Saxons, des Normands, et sous le règne des Plantagenets, Hythe possédait une crique célèbre, qui a été, dit-on, le berceau de la marine anglaise. Et pourtant j’eus beau chercher ce port, je ne le trouvai plus. Il a disparu depuis longtemps, changeant d’abord de position, faisant un pas vers l’est après chaque retraite de la mer, et enfin envahi pied à pied par les sables. Aujourd’hui ce n’est plus qu’une grève stérile avec des flaques d’eau malsaines, et la ville est maintenant située à un bon mille de la mer. Des îlots de petits cailloux (shingles), déposés successivement par les vagues, forment le trait distinctif de cette côte, où quelques brins d’herbe se hasardent entre les pierres, tandis qu’un buisson de ronces ou de genêts sauvages jette çà et là sa verdure épineuse sur la nudité du désert. J’ai parlé du port de Hythe, qui avait pris rang sous les Plantagenets parmi les fameux Cinque Ports ; mais antérieurement à l’arrivée des Saxons en Angleterre, il y en avait un autre, le Portus Lemanis des Romains. C’est même au déclin de Lymne que Hythe doit son origine. D’énormes masses de maçonnerie et de murs en ruine, liées par du ciment romain, jonchent encore, à trois milles de la ville, les pentes sablonneuses de la dune. Ce premier port avait été dévoré, comme l’a été depuis le second, par le gravier de la mer. Un Anglais, regardant du haut de cette colline et voyant des nappes de longues herbes onduler sous le vent, se demandait si ce n’étaient pas les vagues prodigues de l’Océan, revenues à la fin repentantes dans leur ancien lit. La mer ne revient pas, et une partie de Lymne, ou West-Hythe-Port, bloquée par les flots de sable qu’ont apportés d’autres flots, forme maintenant un des faubourgs errans de la ville moderne. On y voit les ruines d’une ancienne chapelle dans laquelle prêcha et délira jadis la nonne du Kent[2]. Non loin de la ville s’élèvent aussi les restes d’un château où les assassins de Thomas

  1. La tradition veut que sous le règne d’Ethelwolf une grande bataille ait été livrée sur la plage entre Hythe et Folkestone. Les Danois, repoussés par les Saxons, voulurent regagner leurs vaisseaux, mais ils perdirent beaucoup de monde. La plaine était couverte de leurs os, qui blanchirent sous le soleil et la pluie durant des années. Enfin quelqu’un les recueillit et les déposa par monceaux dans la crypte de l’église. Plusieurs des crânes sont troués, et l’on croit qu’ils ont été percés par le fer d’une lance ou par le bout pointu des haches d’armes.
  2. La nonne ou la sainte fille du Kent, holy maid of Kent, s’appelait Élisabeth Braton et vivait vers 1533. Des accès d’hystérie la disposèrent au rôle de prophétesse. Elle excita un grand intérêt dans l’Angleterre d’alors, l’Angleterre d’alors, et voulut même toucher aux matières politiques. Ce fut sa perte. Ayant attaqué le divorce de Henri VIII avec la reine Catherine et la suppression des monastères, elle fut condamnée à mort par la chambre étoilée. L’exécution eut lieu en 1534 à Tyburn.