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Becket passèrent la nuit la veille du jour où ils chevauchèrent vers Canterbury pour tuer l’évêque. Ces souvenirs historiques, mais plus encore les antiques mouvemens de la mer et de la terre, qui constituent le trait le plus intéressant de la géologie moderne, étaient de nature à arrêter ma pensée. Je n’avais pourtant, ce jour-là, le temps d’être ni géologue ni antiquaire : des coups de carabine m’auraient rappelé malgré moi à l’objet de mon voyage, si je l’avais oublié. Les shingles de Hythe servent à présent de champs de pratique, et les balles sifflent dans ces mêmes lieux où autrefois les lourds vaisseaux traînaient leurs chaînes ou plantaient leur ancre.

L’école de mousqueterie, school of musketry, fut instituée par le gouvernement il y a environ six années. Elle s’élève à l’ouest de la ville, sur le chemin d’Ashford. Le bâtiment avait été construit, au commencement de ce siècle, pour le corps d’état-major, et servit ensuite de caserne. Cette institution avait d’abord été fondée en vue de l’armée régulière et pour apprendre aux soldats anglais à bien se servir de la carabine. Le mouvement des volontaires ayant surgi, depuis ce temps-là, on jugea à propos d’étendre la même instruction aux deux armées. Hythe se trouva être ainsi le quartier-général des riflemen. Deux hommes au moins par compagnie y viennent recevoir les principes d’un art qu’ils devront ensuite répandre parmi leurs camarades. Cette allée et venue de volontaires qui se succèdent, passent deux semaines à Hythe et occupent des logemens garnis dans les différentes parties de la ville, a singulièrement rajeuni une cité qui se mourait de langueur et de solitude. Il y a là de tous les uniformes et de tous les âges, depuis seize jusqu’à près de soixante ans ; toutefois la jeunesse domine. Là tous les rangs de la société, toutes les classes, les pairs du royaume, les gentilshommes campagnards, les avocats, les membres de l’université, les marchands, les commis, se donnent rendez-vous et vivent sur un pied de parfaite égalité. On n’a même point besoin d’être présenté l’un à l’autre pour devenir amis. Le lien de cette fraternité est le but commun qu’on se propose, la défense de la terre natale. Je dois même dire à l’honneur de l’aristocratie anglaise que ceux de ses membres, instruits par les mêmes sergens, soumis à la même discipline, ne se distinguent des autres que par leur zèle et leur ardeur au travail. L’enseignement est à la fois oral et pratique. Il existe une salle de cours, lecture-room, dans laquelle le gouverneur de l’école, le major-général Hay, qui est lui-même un tireur de première force et qui se promène rarement sans sa carabine en mains, rappelle clairement aux volontaires le principal objet de leur institution.