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sous le nom de clignoteurs, de myopes ou de canards boiteux, m’ont paru supporter leur infortune avec un degré très inégal de philosophie. Cette différence m’a été expliquée. Les hommes d’étude et de cabinet prennent encore assez volontiers leur parti d’un insuccès qu’il était juste de prévoir ; mais les bons joueurs de cricket, les canotiers et tous ceux qui se piquent de briller dans les jeux d’adresse font très mauvaise mine dans la troisième et même dans la seconde classe. Ceux qui ont le bonheur d’arriver à la première tirent à des distances qui varient de 7 à 900 mètres. Se fùt-il agi du gain d’une bataille ou d’une fortune, je ne crois pas que les concurrens auraient témoigné plus d’anxiété qu’ils n’en montraient à monter en grade. Leur sollicitude n’avait d’égale que celle des sous-officiers instructeurs, qui prennent vraiment au succès de leurs élèves un intérêt paternel. J’ai vu aussi avec plaisir le général lui-même aller vers les groupes malheureux, les consoler et relever leur espoir avec leur courage par de bonnes paroles. Cette instruction individuelle des tirailleurs se complète à Hythe par des feux de file et des exercices d’escarmouches. Avant de quitter la ville, je visitai un canal militaire qui fut creusé à grands frais, il y a soixante ans, sous l’influence des mêmes alarmes qui ont donné naissance au mouvement des volontaires. Les hommes de guerre qui forment la génération nouvelle ne m’ont point paru avoir une grande idée de cette barrière opposée à l’invasion des côtes. Si ce canal devait jamais éloigner l’ennemi, ce serait, surtout en été, par la mauvaise odeur des eaux.

L’exemple semé par le concours de Wimbledon et l’instruction reçue à Hythe ont porté leurs fruits. Aujourd’hui des défis et des contests à la carabine ont lieu dans toutes les parties de l’Angleterre. Des sommes d’argent considérables ont été distribuées en prix par la générosité des particuliers. Le colonel des royal national rifles, sir de Lacy Evans, reçut dernièrement une lettre qui portait pour toute signature les initiales Z et A. Cette lettre contenait 50 liv. sterling en bank-notes. Le vœu du donateur était que cette somme fût employée au bénéfice de la brigade, mais il n’expliquait point lui-même de quelle manière. Sir de Lacy Evans crut bien faire en l’appliquant à des prix pour encourager la pratique de la carabine. Ces prix ne consistent pas toujours en argent. L’un des riflemen du 12e Middlesex, qui ont pris le nom de Garibaldiens[1], étant sur le

  1. Je dois dire que le nom de Garibaldi a été mêlé à tout le mouvement des volontaires anglais. L’exemple des bandes italiennes mettant en fuite des troupes régulières a exercé une influence indirecte, mais considérable, sur l’esprit de la nation britannique. À ceux qui leur disaient que les conditions n’étaient point tout à fait les mêmes, les riflemen anglais se hâtaient de répondre : « Si les Italiens ont une patrie à délivrer, nous avons une patrie libre à défendre. »