Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

favorisent un certain abaissement de l’art, mais elles sauvent, elles font vivre l’art lui-même. C’est le propre de beaucoup d’institutions d’être d’abord mal appliquées, puis condamnées sur ce premier essai. N’est-il pas plus sage de s’efforcer de les mieux comprendre et de renouveler l’expérience? Souvent des corrections légères amènent des changemens profonds. Quand on parcourt l’histoire contemporaine, on reconnaît avec étonnement quelles faciles réformes eussent rendu durables nos libertés politiques, notre tribune et diverses dynasties successivement renversées. Les expositions ont besoin aussi, non pas d’être violemment réformées, mais de rencontrer leurs justes limites, la mesure, une règle heureuse. Elles ont besoin d’être ramenées à leur vrai principe; il faut si peu pour les y ramener! Ce principe, qui a été pratiqué avec un succès insigne par les peuples grecs, c’est le concours, le concours rigoureux, inflexible, efficace, sans complaisance ni faveur, le concours sur une vaste échelle qui satisfasse aux exigences des sociétés modernes. L’esprit français offre cette inexplicable contradiction, qu’il est tout à la fois épris des nouveautés et esclave de la routine. Il est important, lorsqu’on propose une amélioration, de respecter nos faiblesses, car nous n’acceptons le progrès qu’à la condition qu’il ne dérange aucune de nos habitudes. Les païens se convertissaient plus volontiers au christianisme, quand il s’établissait dans leurs temples. Il leur en coûtait moins de renoncer à Jupiter ou à Minerve que de désapprendre le chemin du vieux sanctuaire pour se diriger vers un nouveau. Ne touchons donc point au sanctuaire de l’exposition, mais seulement aux idoles qu’on y entasse. Demander qu’il y en ait moins et de moins laides, c’est une grande audace sans doute. Il est toutefois vraisemblable que le public se ferait plus vite qu’on ne le pense à une telle privation.

Si demain le gouvernement publiait un programme ainsi conçu : « L’exposition de 1861 n’admettra que cinq cents œuvres d’art. Cinquante places seront données à la sculpture, cent à la peinture d’histoire, cinquante à la peinture religieuse, cent au paysage, quarante aux portraits, vingt à la peinture de genre, etc., etc., » le gouvernement agirait comme Platon voulait agir dans sa république, en législateur absolu et radical; mais il soulèverait des réclamations universelles. En vain répondrait-on au public que son plaisir sera plus vif s’il est plus pur, qu’il sera moins sujet à mal adresser son admiration et à se gâter le goût ; en vain lui prouvera-t-on que deux années ne peuvent produire plus de cinq cents chefs-d’œuvre, puisque les musées, qui contiennent la fleur et le génie de quatre siècles, n’en offrent pas autant. En vain expliquera-t-on aux artistes que leur intérêt ne peut être séparé de celui de l’art, que leur but est de bien faire plutôt que de vendre, d’acquérir de la gloire plutôt que de