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— Vous êtes parfaitement engagée, me dit Christine; du moins M. Wyndham vous regarde-t-il comme telle... Est-ce que par hasard vous auriez déjà changé d’avis?

— Engagée!... je suis engagée!... repris-je, essayant de me convaincre moi-même en répétant ces mots consacrés, que ma destinée était à jamais liée à celle de Hugh... Soit, continuai-je en me jetant dans les bras de ma sœur; vous et lui, vous êtes les bons anges,... Godfrey et moi...

— Pas un mot contre Godfrey, je vous prie ! interrompit Christine. Vous empiétez là sur mes droits,... et vous savez si j’y tiens.

Le soir d’après, sur le balcon où, sans fausse pruderie, j’étais allée le rejoindre, en apprenant des enfans que «le beau gentleman » demandait où j’étais, Hugh me parlait avec assurance et tendresse de notre heureux avenir. Il me remerciait d’être bonne pour lui, et vantait ce naturel penchant de mon âme vers le malheur qui avait besoin de consolation. — Il est beau, disait-il, d’être ainsi douée... — Et moi je me sentais honteuse de ces éloges immérités; mais en même temps ma timidité, mon orgueil peut-être, m’empêchaient de lui confesser que ce qu’il admirait tant, ma volonté domptée, mes haines oubliées, mes intérêts méconnus, tous ces apparens sacrifices n’étaient au fond que le résultat d’un entraînement irrésistible vers celui qui, sans les espérer, sans presque les demander, les avait obtenus de moi. Il y eut un moment où, levant les yeux vers lui, je sentis prêt à m’échapper l’aveu de cet amour dont j’avais si longtemps et si bien gardé le secret; mais une terreur intime l’arrêta sur mes lèvres au moment où il allait en sortir. Il me sembla que j’allais déchoir, m’avilir à ses yeux. Sous mes paupières qui s’abaissaient, je sentis s’amasser des pleurs brûlans.

— Ah! s’écria-t-il, souriant encore, mais troublé, voici que vous reprenez votre physionomie de parque!... Quel est donc ce brusque retour à des idées sombres?

Embarrassée de répondre, je balbutiai le nom d’Owen Wyndham. — Je sais, reprit Hugh,... je comprends ce qui se passe en vous;... mais ne conservez aucun doute, aucune amère pensée à ce sujet... Je ne contraindrai jamais vos antipathies, et, lié par le sacrifice que j’accepte de vous, il est juste que je vous en fasse d’équivalens... En renonçant à voir Owen après que vous serez devenue ma femme, je sais que j’affligerai ma mère, et c’est là mon plus grand souci... Je m’y résignerai cependant en songeant que pour moi vous entrez en lutte avec les préjugés hostiles d’un frère qui vous aime... Maintenant, et pour sceller cette convention, je vous demanderai simplement une promesse, sans me dissimuler ce qu’il pourra vous en coûter de la tenir : c’est de dire à votre frère, quand