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tal, ignora complètement qu’il eût ainsi reçu, pour ainsi dire, « le prix du sang. » Ce fut seulement à son retour en Angleterre que l’exacte coïncidence du marché passé avec Owen Wyndham et de cette mort violente infligée au maître de Blendon-Hall fit naître en lui de graves soupçons; mais comment les vérifier? et, fussent-ils fondés, comment entrer en lutte, lui, le misérable aventurier, avec un criminel aussi haut placé, aussi riche, tenant par son apparentage à l’élite sociale, et que l’esprit de caste, la solidarité aristocratique, eussent protégé contre de bien autres adversaires?

Ces soupçons cependant se trouvaient confirmés par la libéralité même avec laquelle Owen Wyndham pourvoyait aux besoins de son ancien complice, pourvu que Hickman s’abstînt rigoureusement de reparaître aux environs de Blendon-Hall et de renouer ses relations avec les membres de sa famille qui avaient appartenu à la domesticité du château. Aux prises avec les difficultés d’une vie errante, isolé des siens, habitué à étouffer la voix de la conscience, le malheureux courba la tête une fois de plus. A Jersey et dans l’île de Man, où il avait résidé successivement, il avait porté l’inconstance de son caractère et cette incurable faiblesse qui le mettait à la merci de tous les entraînemens mauvais. Il s’était compromis dans des spéculations de contrebande, et, sous un nom supposé, avait dû aller vivre en Belgique après avoir aliéné à vil prix les échéances futures d’une annuité viagère constituée sur sa tête par M. Wyndham. Un ingénieur anglais, qui, le trouvant sous sa main, l’avait employé dans des travaux de chemin de fer, l’avait ensuite recommandé en Angleterre à l’un de ses collègues. C’est ainsi que le prétendu Dawson, revenu dans son pays, mais resté sous le coup d’antécédens équivoques et signalé aux soupçons par le mystère dont il était forcé de s’entourer, avait fini par se trouver mêlé, malgré ses protestations d’innocence, à une affaire criminelle soumise en ce moment aux investigations de la justice.

Si explicites qu’ils fussent, les aveux de Hickman ne suffisaient pas pour autoriser mon frère à formuler contre Owen Wyndham une de ces accusations précises, irréfragables, qui, ne laissant guère de doute dans l’esprit d’un juge, lui interdisent tout ménagement dilatoire, et enlèvent à l’accusé le droit de réclamer sa liberté sous caution. Le témoignage de Hickman se trouva fort à propos corroboré par celui qu’on put obtenir de mistress Gill, dont une lettre, datée d’Halifax, adressée à son ancienne camarade Jane Hickman et transmise à mon frère par celle-ci, venait de faire retrouver la trace. Godfrey s’était rendu aussitôt auprès d’elle et l’avait trouvée sur son lit de mort, tourmentée de mille scrupules religieux. Cependant il lui en coûtait encore de confesser tous ses torts; il fallut la grande