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pas un seul de ses auditeurs qui pût sérieusement attendre le succès de ce candidat. Aussi, quelque préparé que l’on fût à la scission du parti démocratique, elle ne put se consommer sans agiter profondément les esprits.

Les unionistes néanmoins laissèrent percer une vive satisfaction : ils se crurent certains de tous les états du sud dans lesquels en 1856 ils avaient balancé les forces du parti démocratique, alors unanime; ils espérèrent que leur candidat arriverait devant le congrès avec un plus grand nombre de suffrages que M. Breckinridge, ce qui ne pouvait manquer d’ajouter à ses chances. Toutefois le parti auquel le conflit de Baltimore profitait le plus était les républicains, qui n’allaient plus avoir à combattre dans les états du centre que des adversaires divisés et démoralisés. Leurs espérances de victoire s’en accrurent; mais ce n’était pas seulement à ce point de vue qu’ils avaient sujet de se réjouir : grâce à la scission, ils allaient voir une portion de leurs ennemis se transformer en alliés. Depuis que M. van Buren et les autres free-soilers avaient été excommuniés et rejetés du parti démocratique comme suspects sur la question de l’esclavage, c’étaient les mangeurs de feu exclusivement qui avaient conduit le parti démocratique dans tout le sud, et qui avaient donné le ton à la polémique de ses journaux. Aussi ne défendait-on plus l’esclavage, ainsi que le faisait la génération précédente, comme un mal regrettable, mais nécessaire : on en faisait audacieusement l’éloge, on le qualifiait de pierre angulaire de la constitution, on le présentait comme une institution morale, civilisatrice, utile à la fois aux noirs et aux blancs, et bonne à propager. « Supprimer l’esclavage, disait à Charleston M. Gaulden, de la Géorgie, serait faire reculer de deux cents ans la civilisation américaine. » Quand M. Jefferson Davis cherchait à établir que le congrès avait pour devoir de protéger l’extension de l’esclavage, il ne craignait pas d’invoquer l’intérêt de l’humanité. La surveillance rigoureuse qui arrêtait à la frontière du sud les journaux et les livres du nord, qui fermait la bouche aux voyageurs et imposait le silence, sous peine de mort, même aux ministres de l’Evangile, rendait impossible toute réfutation de ces opinions monstrueuses. Si loin qu’il y eût des doctrines grossièrement utilitaires de M. Douglas aux principes que professent sur l’esclavage tous les esprits éclairés et vraiment chrétiens, elles étaient cent fois préférables à la glorification d’une plaie sociale. Or M. Douglas ne pouvait défendre sa théorie de la non-intervention sans nier la thèse favorite du sud, que l’esclavage doit être propagé à raison de son excellente morale. En soutenant le droit des pionniers à écarter le travail servile de leurs foyers, il lui était difficile de ne pas employer des argumens qui, poussés jusqu’à leurs dernières conséquences, autoriseraient à combattre l’esclavage en prin-