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cipe, et l’on pouvait se reposer sur ses adversaires du soin de faire ressortir toutes ces conséquences. Une polémique acharnée sur l’esclavage allait donc être engagée d’un bout à l’autre des états du sud entre les hommes qui jusque-là en avaient tous été les défenseurs. Il était impossible que ces discussions n’eussent pas pour effet de faire réfléchir quelques esprits, de répandre quelques idées nouvelles et de jeter des semences qui fructifieraient plus tard.

Tout semblait tourner en faveur des républicains. Les membres de ce parti avaient rédigé et fait adopter par la chambre des représentans un bill qui modifiait le tarif des douanes dans le sens de la protection, mais qui pouvait cependant être considéré comme un compromis entre les intérêts en lutte, et qui se justifiait par la situation embarrassée du trésor. Les plus grands efforts furent épuisés auprès de M. Buchanan, protectioniste lui-même, par les démocrates du nord et par un de ses plus chers amis, M. Bigler, de la Pensylvanie, dont le siège au sénat était fort menacé. On lui représenta que le rejet du bill par le sénat serait le coup de grâce du parti démocratique dans les états du centre; M. Buchanan refusa d’user de son influence personnelle sur les sénateurs du sud, qui, après avoir ajourné aussi longtemps que possible la discussion de la mesure, finirent par la rejeter dans les derniers jours de la session. Au même moment, la publication des résultats de l’enquête poursuivie par la chambre des représentans constatait, à la charge de quelques hauts fonctionnaires et de plusieurs des meneurs du parti démocratique, des faits de corruption, des embauchages politiques, des falsifications de listes électorales, un trafic des fonctions publiques de nature à donner la plus déplorable opinion des mœurs américaines. Les républicains, qui trouvaient dans ces documens la justification de toutes les attaques qu’ils dirigeaient depuis quatre ans contre leurs adversaires et le secret de quelques-uns de leurs échecs, ne manquèrent pas de donner le plus grand retentissement à ces déplorables révélations. Il se trouvait que les populations de l’Illinois, suivant l’usage américain d’attacher un sobriquet à tous les personnages politiques, avaient surnommé M. Lincoln l’honnête Abraham ; on s’empara de cette circonstance, et ce qui n’était qu’un hommage aux vertus privées d’un individu fut transformé en une sentence nationale, en une flétrissure de l’administration fédérale. Les habitans de Springfield, désireux de fêter la nomination de leur concitoyen par la convention de Chicago, le firent complimenter par les autorités municipales, et lui firent annoncer qu’on allait tirer une salve de cent-un coups de canon. «Soyons économes dès le premier jour, avait répondu M. Lincoln en riant, vingt et un coups suffiront. » Cette innocente plaisanterie fit le tour de la confédération : on y voulut reconnaître l’homme qui mettrait un terme au gaspillage