Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MISS TEMPÊTE

I.

Chaque année, et deux fois par an, au printemps et en automne, la maison que Mme d’Orbigny occupait à Rambouillet, à l’une des extrémités de la ville, du côté de la vénerie, recevait la visite de Mme de Neulise, chassée de Paris par la fatigue, et plus encore par l’habitude. Cette maison, vaste, solidement bâtie, et toute percée de couloirs obscurs, de longs corridors tortueux, faisait alors divorce avec le silence. Ce n’était plus que chants, éclats de rire et longues conversations qui ne tarissaient pas. Le refrain d’une chanson pétillait au rez-de-chaussée, la ritournelle d’une valse y répondait au premier étage, et deux ou trois jeunes têtes rieuses se montraient aux fenêtres. Une bande de jolis petits chiens ébouriffés comme des broussailles, et si drôles qu’on aurait pu croire qu’ils arrivaient de Nuremberg, trottaient par les escaliers en jappant, et les coqs de la basse-cour, surpris et charmés, mêlaient consciencieusement leurs notes les plus aiguës à cet aimable et joyeux concert.

Tout ce tapage avait pour cause la présence de Mlle Marthe de Neulise à Rambouillet : elle voulait qu’il commençât dès l’aurore et qu’il ne finît point après minuit. Jamais on ne vit personne plus remuante ; sa sœur Marie assurait qu’elle avait les jambes fatiguées rien que de voir Marthe aller et venir par la maison. Le fait est qu’on l’apercevait à la même minute dans le jardin et sur le balcon. Tout à l’heure elle jouait du piano dans le salon d’apparat ; mais si on avait à lui parler, il fallait bien se garder de l’y chercher : Marthe était au fond du bosquet, un livre à la main. Il lui paraissait que le mouvement était une condition essentielle du bonheur. Quand elle demeurait en place et muette, c’était pour admirer le silence