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l’échec commun, et parlaient à l’envi de leur résolution d’essayer seules leurs forces. On mit en avant l’idée de demander aux trois candidats leur désistement et de leur substituer un candidat unique; mais le temps manquait pour mûrir et réaliser cette combinaison, et le mois d’octobre s’écoula en stériles récriminations.

Quelques efforts furent faits pour exercer au dernier moment une pression décisive sur New-York : les maisons du sud retirèrent ou ajournèrent après l’élection tous les ordres d’achat qu’elles avaient donnés; des ventes considérables de fonds publics eurent lieu pour leur compte, et elles réclamèrent le paiement en numéraire de toutes les sommes qui leur revenaient; l’encaisse de toutes les banques de New-York diminua rapidement, et on put appréhender pendant quelques jours un retour de la crise de 1857. Néanmoins ce mouvement était trop artificiel pour pouvoir durer, surtout lorsque d’immenses achats de grains avaient lieu tous les jours dans l’ouest pour le compte des spéculateurs anglais. L’intimidation politique ne réussit pas mieux aux hommes du sud que la pression financière. Le gouverneur de la Caroline du sud, en ouvrant la session de la législature, avait recommandé aux deux chambres, dans son message, de prendre les mesures nécessaires pour se retirer de la confédération, si M. Lincoln était élu. La législature nomma en effet une commission, munie de pleins pouvoirs, pour négocier avec le gouvernement fédéral la séparation de la Caroline, et elle décida qu’elle resterait en session jusqu’au 9 novembre, afin de pouvoir agir suivant le résultat de l’élection. Les journaux démocratiques et unionistes firent grand bruit de cette délibération. Malheureusement ce n’était pas la première fois que les chambres de la Caroline du sud tenaient un pareil langage, et l’on se rappelait les jours de 1833, alors que le président Jackson avait exigé et obtenu le licenciement des milices caroliniennes, en menaçant de marcher contre elles à la tête des troupes fédérales. Il était trop manifeste que la confédération n’avait rien à redouter des actes d’un état isolé; il aurait fallu que le sud fût unanime, et il était loin de l’être. Les observateurs impartiaux remarquaient même qu’à mesure que le triomphe de M. Lincoln devenait plus certain, il s’opérait un changement graduel dans le ton des hommes les plus considérables du sud. Au mois de juin, ce n’étaient que prophéties sinistres : M. Lincoln ne devait jamais être le président de la confédération tout entière ; son élection serait le signal d’une effroyable guerre civile. Au mois d’octobre, nombre des partisans de M. Breckinridge étaient les premiers à déclarer qu’avant de rompre l’union, ils attendraient les actes de M. Lincoln, et ne déchireraient le pacte fédéral qu’après une agression flagrante. Les menaces des exaltés n’intimidèrent donc pas le nord; elles eurent pour résultat de fortifier dans le sud les unionistes, qui réprou-