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sée ne lui vint que Noémi lui dût quelque reconnaissance pour cette immolation constante qu’il lui faisait de ses instincts et de sa vocation. Il mettait tout à ses pieds ; en retour, il ne lui demandait que d’être heureuse.

Mme de Neulise avait donné deux filles à son mari. Venues à quinze mois d’intervalle, leur présence n’apporta aucun changement dans les habitudes de la maison. Les filles dormirent dans leur berceau, la mère ne déserta pas le bal, et le père s’acharna au travail avec une ardeur plus âpre et plus soutenue. À cinquante-cinq ans, le praticien, brisé par la continuité d’un travail écrasant, éprouva les premières atteintes d’une hypertrophie du cœur dont il avait depuis quelque temps constaté les symptômes. Il se sentit perdu. Sans abandonner sa femme, sa pensée se porta sur ses enfans. À l’heure suprême de la mort, il trouva le courage, pour la première fois, de donner un conseil à Noémi, qui pleurait en l’embrassant : — Nous ne sommes pas bien riches, lui dit-il ; essaie d’économiser. — Et comme s’il avait craint de la froisser en faisant allusion à une fortune qu’elle n’avait pas apportée : — Un peu, rien qu’un peu ! — ajouta-t-il en portant les mains de sa femme à ses lèvres. Noémi le promit, et prouva, quinze jours après, que si son cœur regrettait amèrement M. de Neulise, elle ne pensait plus à sa promesse.

On sait que deux fois par an, au mois de mai et au mois de septembre, Mme de Neulise et miss Tempête rejoignaient Marie à Rambouillet : mais, si vif que fût l’attachement de la mère pour la fille, elle ne pouvait se résigner à demeurer sans bruit et sans mouvement, ne fût-ce que pour quinze jours seulement, entre les murs d’un hôtel de province. Elle amenait donc avec elle trois ou quatre personnes choisies parmi les plus remuantes de sa société, et leur faisait les honneurs de Rambouillet. Sa sœur. Mme d’Orbigny, bonne et complaisante, lui avait dit une première fois que la maison avec tout ce qui en dépendait était à elle ; Mme de Neulise en usait largement, et ce n’étaient bientôt plus que promenades champêtres, dîners sur le gazon du parc, cavalcades, danses improvisées et petits concerts au milieu desquels Noémi n’était pas la moins remarquée et la moins adulée. Il n’y avait pas d’ailleurs à se gêner avec Mme d’Orbigny ; séparée de son mari depuis sa première jeunesse, veuve, ou peu s’en faut, depuis un certain nombre d’années, elle avait le caractère ainsi fait que rien n’était à elle, pas même ses goûts et ses opinions. On l’aurait comparée volontiers à un miroir toujours prêt à réfléchir l’azur du ciel ou les couleurs sombres des nuées, si elle n’avait eu au fond du cœur un foyer constant de tendresse et de dévouement. Elle vivait dans la retraite depuis quinze ans et en avait alors trente-sept.