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L’IRLANDE
SES GRIEFS ET SA NATIONALITÉ.

L’Angleterre a, durant tant de siècles, opprimé et maltraité l’Irlande, qu’on ne saurait la plaindre d’être aujourd’hui quelque peu calomniée. La calomnie n’est ici que de la justice rétrospective, et l’on a mieux à faire que de défendre un pays prospère, libre et tranquille, qui ne s’inquiète pas toujours du repos, de la liberté et du bonheur des autres. Quand résonne le mot de nationalité, il semble que l’union de deux peuples devienne une violence. Le préjugé veut que l’Irlande soit un pays courbé sous l’oppression, dégradé par la misère, appelant un libérateur. La politique anglaise, depuis quelques années, a blessé tout le monde en Europe, ceux-ci d’un côté, ceux-là d’un autre, beaucoup des deux côtés à la fois; qu’elle agisse ou qu’elle n’agisse pas, on aime à lui opposer le nom de l’Irlande. Je suis partisan des droits des nations comme de ceux des individus, partisan de l’indépendance comme de la liberté; mais l’idée de nationalité cache des sentimens divers et peut servir des desseins opposés. Elle s’allie au despotisme, à l’aristocratie, à l’esclavage, aussi bien qu’à la liberté et à l’égalité. Elle est l’ennemie de la civilisation moderne, de la civilisation française en particulier, lorsqu’elle divise, comme au moyen âge, les races qui habitent le même territoire. Elle tombe dans l’insignifiance quand elle couvre des passions locales ou provinciales. C’est par la liberté qu’il faut juger la nationalité. Le monde change, les vieilles vérités deviennent des mensonges : l’oppression de l’Irlande, peut-être même la nationalité irlandaise, sont des vérités de cette sorte. Je vais essayer de le démontrer, car sur ce point les idées fausses peuvent conduire à de folles actions.