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quelques faits d’observation facile, et propres à frapper les esprits. Aussi tout ce qui se piquait de philosophie admit-il bientôt que le nègre et le blanc, le Lapon et le Hottentot, constituaient autant d’espèces différentes. La doctrine de l’unité ne manqua pourtant pas de défenseurs. D’un côté, les champions de la religion, attaquée par les encyclopédistes, ne pouvaient abandonner une croyance regardée par eux comme fondamentale ; de l’autre, la plupart des naturalistes, Linné et Buffon à leur tête, se prononcèrent nettement dans le sens de l’unité. Le dernier surtout n’hésita pas à voir dans les caractères différentiels qui distinguent les groupes humains de simples modifications d’un type spécifique unique. Ce témoignage doit avoir ici d’autant plus de valeur, que Buffon avait étudié avec une remarquable supériorité les questions relatives à l’espèce en général, et qu’on ne saurait regarder son jugement sur ce cas spécial comme influencé par des préjugés dogmatiques.

À vrai dire, c’est de cette époque que datent les deux écoles anthropologiques qu’on a distinguées par les épithètes récentes de monogéniste et de polygéniste. Les circonstances au milieu desquelles ces deux écoles prirent naissance expliquent en grande partie le caractère qu’elles revêtirent au début, et qu’elles ont trop longtemps conservé. De nos jours encore, défendre ou attaquer l’unité de l’espèce humaine est pour un certain nombre d’écrivains, pour la majorité des lecteurs, faire une sorte de profession de foi ; c’est défendre ou attaquer la Bible et la religion. Et comme si ce n’était pas assez des préoccupations théologiques d’un côté, philosophiques de l’autre, pour compliquer une question déjà si difficile par elle-même, des considérations politiques et sociales sont venues introduire dans le débat des passions bien peu d’accord avec l’absence de parti-pris qu’exigent avant tout les recherches scientifiques. C’est aux États-Unis surtout que la lutte a pris cette nouvelle forme. Nous devons à M. Nott[1] le récit d’un incident dont il convient de dire quelques mots, parce qu’il caractérise la position particulière des anthropologistes américains.

On sait comment l’esclavage, après avoir été accepté par toutes les nations chrétiennes comme une institution régulière, a été justement proscrit par la plupart d’entre elles. On sait comment l’Angleterre, poussée par des motifs très divers, se mit à la tête de la croisade anti-slaviste, et comment presque toutes les puissances adhérèrent successivement aux traités qu’elle proposa en vue de mettre fin à la traite et d’émanciper la race nègre. On sait aussi comment ses propositions à ce sujet furent toujours repoussées par les États-Unis, où la question de l’esclavage touche à d’immenses

  1. Type of Mankind ; — introduction.