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intérêts. Or en 1844 l’Angleterre, appuyée cette fois par la France, revenait encore à la charge, et M. Calhoun, alors ministre des affaires étrangères, ne savait trop que répondre aux notes que lui adressaient les puissances négrophiles, lorsqu’il entendit parler des travaux de M. Gliddon sur les races africaines. Il manda sur-le-champ cet auteur, qui à son tour l’engagea à se mettre en rapport avec M. Morton, le chef reconnu des anthropologistes américains. Une correspondance s’engagea entre le ministre et l’auteur des Crania americana. Le résultat de cette association fut une note dans laquelle M. Calhoun repoussait toute modification à l’ordre de choses établi dans l’Union américaine, en se fondant sur les différences radicales qui séparent les groupes humains. Cette manière d’argumenter déconcerta le ministre anglais, qui se hâta de répondre qu’il n’entendait intervenir en rien dans les institutions domestiques des autres nations. Après avoir raconté cette anecdote, M. Nott se félicite hautement des ennuis que la véritable ethnologie¸ franchement introduite par M. Calhoun dans les relations internationales, a causés à la diplomatie philanthropique !

Ainsi en Amérique la question anthropologique se complique de celle de l’esclavage, et à lire la plupart des écrits qui nous viennent d’outre-mer, il paraît qu’on y est avant tout anti-slaviste ou slaviste ; mais aux États-Unis il faut toujours être biblique, et de là viennent les nuances particulières qui distinguent certains ouvrages anthropologiques américains. Les anti-slavistes sont d’ordinaire franchement monogénistes et acceptent le dogme d’Adam tel qu’il est généralement entendu. Telle est aussi la profession de foi d’un certain nombre de slavistes. Ceux-ci, pour justifier leur conduite envers leurs frères noirs, recourent à l’histoire de Noé et de ses fils. Cham, disent-ils, a été maudit par son père, il a été condamné à être le serviteur de ses frères ; les nègres descendent de Cham : donc, en les réduisant à l’esclavage, on ne fait qu’obéir au livre saint. Mais l’Amérique compte en outre des slavistes polygénistes. Ceux-ci ont remis en honneur, sous des formes diverses et en l’étayant du savoir moderne, la doctrine de La Peyrère. Tout en proclamant hautement l’inspiration divine de l’Ancien et du Nouveau-Testament, ils se sont efforcés de démontrer, par des recherches linguistiques, géographiques ou historiques, que les récits bibliques relatifs à l’origine et à la filiation des hommes s’appliquaient exclusivement aux populations blanches. Ainsi mis à l’aise, ils ont regardé les divers groupes comme autant d’espèces distinctes ; ils ont rapproché le plus possible le nègre des singes, et conclu comme l’avait fait M. Calhoun.

On le voit, des préoccupations fort peu scientifiques sont trop souvent intervenues dans l’examen de la question que nous voulons traiter. C’est là un fait regrettable, et qu’il importait de faire res-