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teur. Là encore elle exerce une action universelle. Tous les corps, qu’ils soient bruts on vivans, sont soumis à cette action. Parties du tout, ils sont soumis à la loi, à la force qui régit le tout. Qu’on se figure pourtant ce que serait notre globe s’il avait pris naissance sous l’empire unique de la pesanteur. En admettant que la matière put encore posséder les trois états que nous lui connaissons, les élémens solides eussent formé un noyau compacte et homogène, d’une forme mathématiquement déterminée, autour duquel se seraient superposées, selon des lois non moins invariables, une couche liquide et une couche gazeuse. A partir de ce moment, tout eût été réglé pour l’éternité. Sur ce globe hypothétique, le seul phénomène variable aurait été l’inégalité des marées aériennes ou marines que l’attraction du soleil et de la lune aurait promenées à la surface d’un océan sans rivages, d’une atmosphère qui n’aurait jamais connu ni les brises ni les tempêtes.

Pour susciter d’autres phénomènes, il fallait quelque chose de plus que la pesanteur, c’est-à-dire que l’attraction. Ce quelque chose est représenté par les forces physico-chimiques. Grâce à ces forces, des réactions tumultueuses, des mouvemens puissans ont bouleversé et accidenté le noyau solide de notre planète. Combinant leur action avec celle de la pesanteur, elles ont produit la terre ferme avec ses montagnes et ses vallées, ses hauts plateaux et ses plaines basses, limité le bassin des océans et des lacs, engendré ces courans qui sillonnent les plus vastes océans comme autant de fleuves aux berges liquides, et ces autres courans qui, sous le nom de vents, agitent sans cesse l’atmosphère, réglé cette alternative d’évaporation et de condensation des eaux d’où naissent les ruisseaux et les fleuves, enfanté en un mot cette multitude de phénomènes connus de tous, et qu’il suffit d’indiquer.

Ici il est impossible de ne pas s’arrêter, de ne pas poser une question qui se présente involontairement à l’esprit de quiconque pense. — Une seule force, l’attraction, suffit pour régir tous les mondes. Est-il probable qu’une dizaine de forces soient nécessaires pour mettre en jeu les corps bruts, élémens de l’un des plus petits de ces mondes? Ce contraste répugne à la raison, et les progrès de la science permettent d’espérer que sous peu il disparaîtra. L’homme, frappé par les dissemblances apparentes de certains phénomènes, n’a pu d’abord que rapprocher ceux qui se ressemblaient, former ainsi un certain nombre de groupes, et rattacher ceux-ci à autant de causes distinctes. Il a ainsi multiplié de plus en plus le nombre des forces physico-chimiques, à mesure qu’il découvrait quelque phénomène nouveau, nettement séparé de ceux qu’il connaissait déjà; mais chaque jour vient démontrer ce que cette doctrine avait de temporaire.