Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prême de Van Helmont, espèce de souverain paraissant avoir son individualité propre, qui siège dans le centre phrénique, et gouverne tant bien que mal une foule d’arché inférieurs domiciliés dans les diverses parties du corps, et à chaque instant en révolte contre leur chef. A mes yeux, la vie n’a pas davantage d’analogie avec le principe vital de Barthès, ou mieux de ses disciples, autre entité passablement confuse, sans demeure bien déterminée, mais qui veille avec anxiété au bon état du corps qui lui est confié, et fait souvent plus de mal que de bien en voulant réparer quelque léger dommage. Non, elle est tout simplement la cause inconnue d’un ensemble de phénomènes spéciaux et particuliers aux êtres vivans, de même que l’électricité est pour le physicien la cause inconnue des phénomènes que présentent les corps électrisés, de même que la chaleur est la cause également inconnue des phénomènes qui se produisent dans les corps chauffés, de même enfin que la force physico-chimique générale, quel que soit le nom qu’on lui donnera, sera pour tout esprit sérieux la cause sans doute à jamais inconnue des phénomènes propres aux corps bruts. La vie n’est pas non plus une force tellement spéciale qu’elle soit de sa nature en opposition avec les forces qu’on rient de nommer. Sans doute, dans une foule de circonstances, elle modifie et contre-balance leur action; mais les forces physico-chimiques, mises simultanément en jeu, agissent bien souvent de même les unes sur les autres. La chaleur modifie l’action de l’électricité, et toutes deux l’emportent, dans certains cas, sur la pesanteur, c’est-à-dire sur l’attraction, sur cette force, la plus universelle de toutes, et qu’on retrouve dans les corps bruts et les êtres vivans tout comme dans les soleils et les mondes[1]. Ainsi entendue, l’idée de la vie ne saurait rien avoir qui répugne à l’esprit le plus rigoureusement scientifique. C’est tout simplement une force qui vient s’ajouter à d’autres forces déjà reconnues et universellement acceptées, et qui, comme elles, se constate par ses effets. C’est elle qui, à côté et au-dessus des corps bruts, fait surgir les êtres organisés. L’organisation et par suite l’individualisation d’une certaine quantité de matière, voilà les deux immenses phénomènes que la vie introduit à la surface du globe.

La vie, l’organisation, qui est le résultat et non la cause de la vie, séparent profondément les êtres vivans des corps bruts. Des uns aux autres il y a un abime. Est-ce à dire pourtant qu’ils n’aient rien de commun, et que cet abîme soit sans fond? Telle n’est pas notre

  1. Les pensées que je viens de résumer ont été développées dans la plupart des travaux que j’ai publiés dans la Revue depuis près de vingt ans, et plus particulièrement dans les Tendances modernes de la chimie, les Souvenirs d’un naturaliste, la Métamorphose et la Généagénèse.