Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/826

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les végétaux des corps bruts. La vie seule en eux est venue s’ajouter aux forces physico-chimiques.

Il n’en est pas de même dans l’autre groupe de l’empire organique. Ici apparaissent des phénomènes entièrement nouveaux. L’animal sent, c’est-à-dire qu’il perçoit des impressions dont la cause est en lui-même ou qui lui viennent du dehors; il se meut en totalité ou partiellement, indépendamment de toute action produite par les forces physico-chimiques ou résultant du jeu de l’organisation; il jouit du mouvement spontané, volontaire, ou mieux autonomique, comme l’a appelé M. I. Geoffroy[1], et par conséquent il possède la volonté qui détermine ce mouvement. Sur ces deux points, toute discussion est impossible, et nous renverrions à La Fontaine quiconque essaierait de ressusciter l’étrange doctrine des machines animales. Malgré l’autorité de Descartes, il suffit pour la réfuter de l’unanimité des naturalistes. Tous, depuis Aristote, ont admis et considéré comme les caractères essentiels de l’animalité la sensibilité et la locomotion. Plusieurs sont allés bien plus loin : ils ont attribué aux animaux des facultés plus relevées, et il me paraît impossible de ne pas partager leur manière de voir, même à ce moment où nous avons probablement atteint les limites de ce monde des animaux inférieurs à peu près inconnu à nos devanciers. Quiconque observera suffisamment les annélides, les mollusques, les zoophytes eux-mêmes, quiconque les soumettra à ces faciles expériences que j’ai maintes fois répétées, en viendra certainement à reconnaître que, pour être fort loin des mammifères et des oiseaux, ces êtres à organisation simplifiée n’en possèdent pas moins jusqu’à un certain point la conscience de leur individu, la connaissance du monde extérieur, qu’ils saisissent certains rapports entre ces deux termes, qu’ils modifient leur volonté et coordonnent leurs mouvemens en vertu de ces rapports. Or saisir des rapports, en tirer une conséquence qui se traduit par des actes, c’est évidemment raisonner. — il serait facile de citer bien d’autres phénomènes de même nature, tous étrangers aux végétaux, tous propres au règne qui nous occupe; mais ce n’est pas le moment d’aborder la grande question de l’intelligence des animaux : il suffit d’avoir rappelé que jusque chez les plus dégradés, aussi longtemps que par leur taille et leur nature ils se prêtent à l’observation, à l’expérience, on retrouve la trace des facultés fondamentales dont l’ensemble constitue l’intelligence humaine elle-même.

Ces facultés fondamentales sont bien distinctes, et c’est avec raison qu’elles portent des noms différens. Suit-il de là que dans

  1. Αὐτονόμος (Autonomos), qui se gouverne par ses propres lois.