Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/875

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disent tous ces codes, est la propriété absolue de son maître. » C’est un immeuble que celui-ci peut échanger, vendre, louer, hypothéquer, emmagasiner, inventorier, jouer sur le tapis vert, transmettre en pur don ou par héritage… « La condition de l’esclave étant simplement celle d’un être passif, il doit à son possesseur et à tous les membres de la famille du maître un respect sans limites et une obéissance sans bornes[1]. » Il ne peut rien posséder en son propre nom, rien vendre ou acheter sans l’aveu de son maître ; il ne peut travailler pour son propre compte ; il n’a pas d’existence légale ; il ne saurait plaider en justice ni servir de témoin, si ce n’est contre ses frères accusés de conspiration, et, dans quelques états, contre les économes ou gardiens blancs, toujours soupçonnés par les maîtres et presque rangés avec mépris dans la catégorie des esclaves[2]. Le droit de défense personnelle, qui appartient à tout être humain, n’appartient pas au nègre asservi[3]. Il ne peut monter à cheval ou porter des armes sans une permission expresse. Il n’a pas le droit d’aller et de venir, et ne peut sortir de la plantation ou du quartier qu’il habite sans être muni d’un permis en règle ; même ce permis devient inutile si plus de sept noirs se trouvent ensemble sur la voie publique : ceux-ci sont alors en contravention, et le premier blanc qui les rencontre peut les faire saisir et leur infliger vingt coups de fouet. L’esclave est une chose et non pas un homme, et ceux qui le transportent d’un endroit à un autre sont responsables de sa perte ou des accidens qui peuvent lui arriver, comme ils le seraient de la perte ou des avaries d’un colis ou de toute autre marchandise[4]. La loi a décrété que les esclaves n’ont pas d’âme ; elle a condamné à mort leur intelligence et leur volonté, elle ne laisse vivre que leurs bras. Les esclaves n’ont pas d’âme ! Tel est le principe qui donne naissance à tant de crimes ; c’est la source impure de laquelle un torrent d’iniquités déborde à grands flots sur l’Amérique.

Les droits des esclaves, si cet auguste mot peut être profané pour des hommes qui n’ont pas la liberté, se rapportent exclusivement à leur vie animale. Tout planteur est tenu de donner chaque mois à son esclave une pinte de sel et un baril de maïs, ou bien l’équivalent en riz, haricots ou autres grains ; au commencement de l’été, il doit en outre faire cadeau à chaque nègre de la plantation d’une chemise de toile et d’une paire de pantalons ; au commencement de l’hiver, il donne des vêtements de rechange et une couverture de laine. Il lui est interdit de faire travailler les esclaves plus de quinze heures par

  1. Code noir de la Louisiane.
  2. Negro-law of South-Carolina, page 41
  3. Ibid, pages 28 et suivantes.
  4. Ibid, pages 43 et suivantes.