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La population de couleur des États-Unis augmente dans une proportion plus forte que la population blanche, déjà si rapidement progressive[1]. Si les nègres d’Amérique étaient libres, cet énorme surplus des naissances sur les morts prouveraient sans doute qu’ils jouissent d’un certain bien-être, mais ils ne doivent être considérés que comme autant de chevaux ou de têtes de bétail, et le nombre de bras qui se trouvent dans toutes les plantations des états du sud témoigne seulement de la richesse des maîtres. Les nègres multiplient rapidement, parce que les planteurs s’intéressent à la production de cette partie de leur fortune ; des croisements heureux, une nourriture appropriée, l’esclavage abrutissant, valent mieux que la liberté et les durs combats de la vie pour faire pulluler de nombreux enfans. Chaque bon nègre valant de 7,000 à 15,000 fr., comment le maître soigneux de ses intérêts ne donnerait-il pas toute son attention à l’élève des esclaves ? Dans la Virginie, ce grand haras de l’Amérique, d’où l’on exporte chaque année de dix mille à vingt-cinq mille travailleurs vers les marchés du sud, les planteurs exemptent les négresses enceintes ou nourrices de presque tout travail, afin d’assurer la progéniture d’esclaves contre les chances d’accident. Autrefois on n’agissait pas ainsi ; dans toutes les colonies d’Amérique, les planteurs trouvaient moins coûteux d’acheter la pacotille des négriers que d’élever les négrillons jusqu’à l’âge du travail ; aussi la mortalité était formidable, et pendant les trente premières années du siècle, la population nègre a pour cette raison considérablement diminué dans les Indes occidentales. À Cuba, où les esclaves sont en général traités avec une certaine humanité, leur nombre déclina de quatre mille ou cinq mille de l’année 1804 à l’année 1817. Maintenant encore l’activité de la traite permet aux planteurs cubanais de négliger l’élève des nègres, parce que les importations d’Africains dans la force de l’âge comblent sans cesse les vides ; les négriers ne capturent que des hommes, ils laissent les femmes dans leur patrie comme des êtres de rebut. « Avant l’annexion de la Louisiane aux États-Unis, lisons-nous dans un discours du célèbre Clay, prononcé en 1830, cet état importait d’Afrique une multitude d’esclaves. Le prix d’un bon nègre de travail était inférieur à 100 dollars environ au total des déboursés nécessaires pour élever un négrillon. Alors on croyait que le climat de ce pays était tout à fait défavorable à la santé des enfans nègres, et un bien petit

  1. En 1850, la population de couleur des états du sud s’élevait à 3,591,000 personnes, dont 3,204,000 esclaves ; en 1860, on compte approximativement 4,490,000 gens de couleur, c’est-à-dire que leur nombre a augmenté de 900,000 en dix ans. Ils seront près de 12 millions dans un siècle, en admettant que leur accroissement continue à être aussi rapide qu’il l’est aujourd’hui.