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exempts de rancune. Les pasteurs blancs qui les raffermissent dans la foi chrétienne exposent la même doctrine avec plus d’autorité. Ils recommandent aux nègres d’obéir sans murmurer, de recevoir les coups de fouet sans éprouver le moindre sentiment de vengeance, de bénir ceux qui les frappent, de révérer leurs maîtres comme des représentans du père universel. C’est à cette œuvre de lâcheté et de corruption que s’emploient sans cesse des milliers de prédicateurs de la bonne nouvelle : loin d’employer leur éloquence à faire des hommes, ils rendent l’esclave encore plus esclave, le lâche encore plus lâche, et dans l’âme du nègre rebelle ajoutent la peur de l’enfer à la peur du fouet. Ainsi gagnent leur salaire des ministres de Dieu en vendant les âmes qui leur sont confiées.

On peut dire qu’avant la dernière élection présidentielle, l’église en corps, même celle des états libres, donnait l’appui de sa parole et de son influence à l’esclavage, et réprouvait avec ensemble les utopistes qui affirment l’égalité de droits pour les noirs et pour les blancs. En 1850, les églises réunies des états du nord et des états du sud comptaient de vingt-trois à vingt-quatre mille ministres de l’Évangile pour lesquels l’esclavage était la pierre angulaire de la société. Les pasteurs qui avaient fondé des églises séparées, afin de ne pas justifier par leur adhésion le crime de la possession de l’homme par l’homme, étaient au nombre de trois mille cinq cents seulement, six ou sept fois moins que leurs adversaires esclavagistes. Autrefois l’église presbytérienne d’Amérique avait inséré dans sa confession de foi un article qui condamnait formellement la vente et l’achat des noirs ; mais, grâce à la corruption de l’exemple et à l’action démoralisante exercée par l’intérêt privé, cet article a été rayé de la confession de foi, et maintenant tout presbytérien peut trafiquer d’hommes et de femmes avec la même liberté de conscience que s’il vendait ou achetait des troupeaux de bêtes. De même les anciens méthodistes, suivant la voie que leur avait frayée Wesley le célèbre fondateur de leur église, proclamaient hautement que l’esclavage était « l’ensemble de tous les crimes. » De concessions en concessions, la majorité des fidèles en est arrivée jusqu’à permettre aux évêques de se faire éleveurs d’esclaves pour les marchés du sud. À cette occasion, un schisme s’opéra, et l’église méthodiste se partagea en deux fractions, celle du sud et celle du nord ; mais en dépit de cette rupture avec leurs coreligionnaires du sud, les méthodistes du nord n’en comptent pas moins parmi leurs membres zélés quinze mille propriétaires possédant plus de cent mille esclaves, dans le Delaware, le Maryland, la Virginie, le Kentucky, le Missouri et l’Arkansas. Les épiscopaux, moins nombreux, n’avaient en 1850 que quatre-vingt-huit mille esclaves. Les