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baptistes en possédaient deux cent vingt-six mille, et, pour leur plaire, un éloquent orateur anglais de leur confession, M. Spurgeon, n’a-t-il pas retranché de ses sermons toutes les phrases suspectes de tendances abolitionistes ? Des sociétés religieuses qui ont leur siège dans les grandes villes du nord, telle la Société américaine des traités évangéliques et le Comité américain des missions étrangères, répandent des brochures et des opuscules pour établir, au nom de Jésus-Christ, la légitimité de l’esclavage. De son côté, la Société biblique se refuse à distribuer des bibles aux noirs. Les humbles frères moraves eux-mêmes, qui en Europe ont cherché à réaliser l’idéal d’une république fraternelle, font travailler des nègres esclaves et leur prêchent l’abdication de la volonté[1]. À l’exception des quakers, seuls protestans auxquels la grande association évangélique refuse le titre de frères, il n’est pas une communion chrétienne qui ne se soit rendue coupable de la même iniquité contre la race nègre. J’ai vu un prêtre catholique qui, après avoir recueilli sou à sou pendant quinze ans les économies qu’une vieille négresse lui apportait afin d’obtenir son rachat, employa cette somme, lentement amassée, à l’acquisition de la pauvre femme pour son propre compte. Ainsi la plus touchante unanimité règne dans toutes les sectes, deux mille ans après la venue de leur Christ, lorsqu’il s’agit de renouveler la malédiction qui pèse encore sur Cham. Les pasteurs de toutes les confessions s’accordent pour trouver bon l’esclavage de leurs frères. Et puis on peut vendre des nègres pour bâtir des églises, pour envoyer des missionnaires aux peuples non-chrétiens ; on peut consacrer à des objets charitables l’argent gagné à la sueur du front des esclaves, on peut faire le bien avec le produit du crime ! On cite des ministres de l’Évangile qui se targuent d’une haute moralité, et ne craignent pas de louer leurs négresses à des propriétaires de maisons de débauche ; d’autres, au sortir du prêche, chaussent les bottes et l’éperon, sifflent leurs bouledogues, et, suivis de leurs amis, pourchassent un nègre fugitif à travers les forêts et les marécages[2]. Ce sont là les conséquences logiques de l’approbation donnée par les sectes chrétiennes au trafic des âmes humaines. À une époque où le christianisme subit de si nombreux assauts de la part de la science, les ministres de cette religion se rendent coupables d’un acte au moins impolitique en patronant ainsi l’abomination de l’esclavage, réprouvée par la conscience universelle.

Dans les états du centre, déjà relativement populeux et civilisés,

  1. Anti-Slavery-Reporter
  2. Maryland Slavery and Maryland Chivalry, page 56.