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MM. Mon et Bravo-Murillo. La malheureuse création du derrama[1] faisait place aux taxes de consommation (consumos), appliquées avec succès de 1846 à 1854, et M. Barzanallana reprenait, pour l’établissement du budget de la monarchie, les traditions de prudence et de sagacité pratiques par lesquelles s’était révélée la prépondérance du parti modéré dans cette précédente période. Il nous parut opportun alors[2] de tracer une ligne de démarcation entre deux politiques contraires. Lorsqu’une ère nouvelle semblait s’ouvrir, il fallait dresser en quelque sorte l’inventaire de l’héritage recueilli. L’analyse des élémens de la dette publique, l’évaluation des impôts et du déficit annuel accusèrent l’étendue des charges laissées dans la succession. L’appréciation des forces productives de l’Espagne, en particulier des richesses minières qu’aucun autre pays en Europe ne possède à un même degré, permettait de fonder les plus justes espérances sur l’administration de la fortune publique, remise en de nouvelles mains. Près de quatre années se sont écoulées depuis que les événemens de 1856 ont enlevé aux progressistes les rênes du pouvoir, et le moment est peut-être venu de préciser quel usage leurs successeurs en ont fait, et quels résultats ils ont obtenus.

A proprement parler, l’ancien parti conservateur ne peut revendiquer comme tout à fait sienne la direction imprimée au gouvernement depuis 1856 jusqu’à 1860, et les quatre changemens de cabinet survenus depuis lors, qui ont fait passer le pouvoir des mains du duc de Valence à celles du duc de Tétuan, ont attesté de profondes perturbations dans la composition des partis tels qu’ils existaient à la première de ces dates. Par l’effet de ces métamorphoses du parti modéré lui-même, le ministère Narvaez, accusé d’esprit réactionnaire, fut bientôt remplacé par le ministère Armero-Mon, qu’un vote du congrès ne tarda pas à renverser. Puis est venu le cabinet Isturitz, qui a cédé enfin la place au cabinet formé pour le triomphe d’un nouveau parti, l’union libérale, représenté ou plutôt concentré dans une personnalité éminente, le maréchal O’Donnell. Dans ces évolutions successives, l’ancien parti conservateur s’est séparé de quelques-uns de ses chefs les plus illustres, — le duc de Valence et M. Bravo-Murillo par exemple, — mais il s’est renforcé d’un grand nombre de ses adversaires. Cette transformation pourrait passer pour de l’ingratitude envers les hommes que l’opinion conservatrice avait tant de motifs de considérer comme des guides et des maîtres, si elle n’était due à un sentiment plus large et vraiment louable.

  1. Contribution territoriale et industrielle établie en 1856, et dont on avait cru tirer 80 millions de réaux.
  2. Voyez la Revue du 15 avril 1857.