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élasticité ; il marchait du pas assuré d’un soldat intrépide qui court au-devant de l’ennemi. Il est vrai que le péril était encore loin. Quand Pierre Gringot aperçut les premiers ajoncs de la Lande-aux-Jagueliers, où s’élevait la maisonnette de Mathurin Tue-Bique, il fit halte pendant une seconde pour se recueillir et prendre haleine. Le cri d’une pie qui jacassait sur la plus haute branche d’un chêne, à sa gauche, le troubla un peu ; la vue d’une belette traversant le chemin à dix pas devant lui ne laissa pas de lui causer une assez vive impression. Cependant il continua d’avancer résolument au milieu d’un silence solennel. Le bruit lointain des cloches annonçant l’heure de la grand’messe vint heureusement rappeler à Pierre Gringot qu’il n’était pas trop éloigné du village. À ce tintement des cloches promené par la brise à travers la campagne en ondes vibrantes se joignit l’écho lointain de la musique du charlatan, qui reparaissait sur la scène devant un nouveau public. Ce fut comme un double appel au cœur déjà chancelant du jeune paysan ; il traversa sans sourciller l’espace qui le séparait de la maison de son ennemi.

— Au nom de celui qui est plus fort que toi, s’écria Pierre Gringot en frappant du pied la porte du meneux de loups, rends-moi la santé !

À cette interpellation, prononcée d’une voix retentissante, un corbeau privé répondit du haut du toit par un coassement lugubre ; un chat noir, qui dormait sur le four entre deux touffes de joubarbe, fit entendre un miaulement plaintif, et redressa son dos en forme d’arc ; une poule blanche, qui picorait près de la clôture du jardin, gloussa d’une façon singulière en fixant sur le paysan son petit œil fauve à demi caché sous sa crête flottante. Étonné de son propre courage, Pierre Gringot frappa de nouveau la porte avec son pied. Cette fois la porte s’ouvrit, et le meneux de loups apparut, vêtu de sa peau de bique, assis dans la paisible attitude d’un homme qui rêve les yeux ouverts.

— C’est toi, Pierre Gringot, dit-il sans se troubler ; que ne soulevais-tu le loquet de ma porte au lieu de la secouer ainsi ?

Pierre ne répondit rien. Il restait sur le seuil, immobile, troublé de voir tant de calme chez celui qu’il abordait avec tant de colère.

— Entre donc, Gringot !…

— Nenni ! répliqua le paysan, qui scrutait d’un œil inquiet les recoins obscurs de la maisonnette.

— Si tu ne voulais pas entrer, pourquoi as-tu frappé de si violens coups de pied dans ma porte ?

— Pour te forcer à me répondre ; tant que je suis dehors, j’ai l’avantage sur toi, et si j’entrais sous ton toit, je serais en ton pouvoir. Au nom de celui qui est plus fort que toi, rends-moi la santé !