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de foire. Après y avoir rôdé pendant une heure, elle rencontra une de ses parentes, la cousine Rose. qui habitait une commune éloignée, et qu’elle n’avait pas vue depuis longtemps. La parente de Jeanne embrassa cordialement la pauvre fille, écouta le récit de ses petites infortunes et promit de la prendre à son service. Comme il était déjà près de midi, la bienveillante cousine Rose emmena Jeanne sous une vaste tente où se pressaient les gens de tout sexe, de tout âge, talonnés par la faim et poussés par la soif. La foire était alors dans toute sa splendeur. Le tambour du signor Molinardi et la trompette de sa digne compagne dominaient le bruit sourd des hommes et des animaux qui s’agitaient au milieu d’une épaisse poussière. Sous un vaste parapluie qui s’élevait comme le dôme d’une mosquée, un marchand de médailles de saint Hubert chantait en s’accompagnant sur un violon poudreux cette interminable complainte qui fait depuis des siècles le tour de la France. Il y avait des marchands de pain d’épice, de gâteaux, de jouets d’enfans et de grosse vaisselle. Les petits garçons bouffis soufflaient incessamment dans les sifflets fraîchement achetés aux boutiques en plein vent ; les petites filles portaient avec orgueil sur leurs bras les poupées d’un son dont la munificence de leurs parens les avait gratifiées. On se fondait, on se pressait, on s’étouffait ; au dire des habitués, la foire était excellente, magnifique. Les éleveurs normands et les maquignons poitevins s’arrachaient à des prix élevés bœufs et chevaux. On se disputait un coin de banc sous les tentes où le cidre et le vin blanc coulaient libéralement dans les verres et dans les tasses. Les conversations s’animaient ; le plaisir de retrouver un ami et de boire à sa santé faisait rayonner les fronts ; on se pressait les mains, on s’embrassait, on parlait à ceux qui étaient seuls, à ceux qu’on ne connaissait pas ; les langues s’étaient déliées comme par enchantement. Le paysan, si défiant de sa nature et qui semble presque sauvage à qui le surprend au milieu de la solitude de ses champs, devient aux foires, sous la tente du cabaretier, expansif, confiant et jovial.

Jeanne, qui était arrivée là triste et découragée, commençait à se remettre un peu de son trouble. — Ma fille, lui dit la cousine Rose au moment de quitter la table, il ne faut pas que ta mère aille à l’hospice ; nous la prendrons chez nous, elle restera près de toi, et tu la soigneras,

— Vous allez la rendre bien heureuse et moi aussi, répondit Jeanne. Le bon Dieu vous récompensera !

— Dame, il faut bien faire quelque chose pour lui Allons,

Jeanne, à demain ; notre charrette ira te quérir avec ta mère et vos bagages à toutes les deux.

Jeanne embrassait sa parente et cédait sa place à un paysan al-