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dans le village de L… où je demeure… À la foire de mai, où il y a eu des malheurs, c’est moi qui ai sauvé la vie à votre parente, la Jeanne Desbois…

La cousine Rose écoutait toujours debout, et sans offrir un siège à celui qu’elle regardait avec des yeux étonnés. Après quelques minutes de silence : — Eh bien ! mon ami, demanda-t-elle, c’est donc à Jeanne que vous voulez parler ?

— Il n’y a pas longtemps que je suis tout à fait guéri, répéta Tue-Bique, sans oser répondre d’une façon directe ; j’aurais peut-être été plus heureux de mourir.

Jeanne, qui entendait le son d’une voix bien connue, se leva sans savoir pourquoi, et sans le vouloir elle se mit à marcher doucement vers la porte de la chambre où la cousine Rose écoutait le discours un peu incohérent de Mathurin. Celui-ci aperçut le visage de la jeune fille ; il devint pâle et tremblant.

— Malheureux que je suis ! s’écria-t-il avec véhémence. Je n’ai ni parent, ni ami qui parle pour moi… Jeanne, vous ne devez pas entendre ce que je vais dire !… Tant que je verrai votre ombre, je ne saurais m’expliquer…

Jeanne se retira et ferma sur elle la porte de la chambre. — La voilà partie, dit la cousine Rose ; asseyez-vous et parlez maintenant.

— Laissez-moi parler debout, reprit Tue-Bique ; aussi bien je vais repartir tout de suite. Mon nom, je vous l’ai dit ; ma profession, la voici. J’ai été jusqu’ici braconnier, et on m’a appelé meneux de loups, parce que je vivais seul au coin d’une lande, et que je courais la nuit comme le jour ; mais la maladie fait faire des réflexions, mes furets sont vendus… Je ne veux plus mener le métier de braconnier, foi d’honnête homme. J’en ai un autre d’ailleurs, entendez-vous ; le commerce des vaches m’a bien réussi, et, sans être sorcier, j’y ai de la chance autant que les plus malins ; aussi j’ai aujourd’hui dans un coin de mon grenier cent bons louis de vingt francs… Eh bien ! quand mes parens demandaient la charité, la défunte Desbois, la mère de Jeanne, leur a donné des morceaux de pain… plus de cent fois. À cette heure que Jeanne est dans la détresse, je viens lui demander si elle veut que je l’aide… Vous me comprenez, n’est-ce pas ? Je vous prie de lui faire connaître mes sentimens et ma position. Vous lui tenez lieu de mère à présent. Si elle veut de moi, eh bien ! nous habiterons par ici ; je continuerai mon petit commerce…

— Dame, répliqua la cousine Rose, je lui parlerai, et je saurai ce qu’elle pense…

— Dans trois jours, je reviendrai ; si la fenêtre de cette chambre-là, à côté, reste fermée, je m’en irai sans frapper à la porte, et vous