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y a un document, une pièce décisive, qui n’a certainement pas échappé à M. Nourrisson : c’est la correspondance avec Arnaud, récemment retrouvée par M. Grotefend. Ici ce n’est plus seulement Leibnitz affirmant qu’il a arrêté les lignes de sa doctrine en 1685; c’est la doctrine même de Leibnitz exposée dans un écrit de 1685. Lisez l’admirable Discours qui sert de base à la correspondance. J’ose dire qu’il n’y a pas une seule des idées originales de Leibnitz qui ne se trouve là, non pas à l’état de germe, mais à l’état de complet épanouissement. L’article 5 développe cette idée, que chaque substance singulière exprime tout l’univers selon son point de vue; c’est un des principes fondamentaux de la monadologie. Dans les articles 11 et 12, Leibnitz établit que la seule étendue ne peut constituer l’essence des corps, qu’il faut à la matière un principe d’action et d’unité analogue à ce que nous sentons en nous-mêmes, à ce que nous appelons l’âme ou le moi. Puis vient toute la théorie des rapports de l’âme et du corps et cette fameuse hypothèse de l’harmonie préétablie qui n’a certainement été imaginée par Leibnitz qu’après sa doctrine dynamique, puisqu’elle en est dans sa pensée la suite et le complément.

Direz-vous que l’idée de la force est plutôt répandue dans tout le Discours que nettement formulée et mise à découvert? J’en conviens, mais la raison en est aisée à trouver : c’est que Leibnitz, voulant séduire à ses vues le cartésien Arnaud, évite de lui présenter son système par le côté qui pourrait le choquer, et préfère lui développer ses vues sur l’harmonie des êtres et sur la providence de Dieu.

Je regarde donc comme un point établi, depuis la publication de M. Grotefend confrontée avec la lettre à Thomas Burnet, que c’est vers 1685, à l’âge de quarante ans, que Leibnitz, après avoir vu Paris, Londres, Amsterdam et Florence, éprouvé par vingt années d’études et de découvertes en tout genre, mathématiques, physique et géologie, droit public et jurisprudence, histoire, langues et origine des nations, a finalement coordonné tant de matériaux divers dans une doctrine originale.


III.

L’enchaînement de toutes les parties de cette doctrine en est le trait le plus admirable, et depuis la publication de tant de précieux documens, on peut dire qu’elle se découvre aujourd’hui à nos yeux avec un surcroît de grandeur et de clarté. Tout Leibnitz est dans sa métaphysique, et sa métaphysique elle-même a son centre dans une seule idée, l’idée dynamique.