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donc pas de retrancher ceci ou cela dans la métaphysique cartésienne; il faut reprendre l’édifice par le fondement. Or le vrai fondement de la métaphysique, c’est une idée que Descartes a d’abord effacée, puis écartée, l’idée de force active. La force active est partout; elle est le vrai principe des phénomènes corporels, elle fait le fond de tous les êtres. »

Comment Leibnitz est-il arrivé à l’idée fondamentale de son système? C’est d’abord, je crois, par la physique et les mathématiques.

Les lois du mouvement, telles que Descartes les avait déduites de l’essence des corps, sont fausses; cela est prouvé, dit Leibnitz, d’accord sur ce point avec Huyghens et Newton. Il est particulièrement faux que la même quantité de mouvement se conserve dans l’univers. Ce qui se conserve, c’est la même quantité de force motrice. Et puis allez au fond de la notion de corps : qui dit corps dit un être multiple; il y a donc quelque chose qui se répète, qui se multiplie, qui s’étend, qui résiste. Ce quelque chose, ce principe d’existence et d’unité, c’est la force.

Direz-vous que la notion de force est vague et confuse, que nous ne connaissons les forces que par leurs effets? « Cela serait vrai, si nous n’avions pas une âme et si nous ne la connaissions pas... Se trouvera-t-il quelqu’un pour révoquer en doute que l’âme pense et veut, qu’en nous-mêmes nous tirons de nous et de notre fond des volitions et des pensées, tout cela spontanément?... Ce serait récuser ce témoignage de la conscience qui nous atteste qu’elles sont nôtres, ces actions que nos adversaires transportent à Dieu. »

L’âme humaine, voilà le type toujours présent de l’activité. Otez à l’âme la raison et la liberté, réduisez-la à ces appétits aveugles, à ces sensations confuses, à ce que Leibnitz appelle des pensées sourdes: vous avez la vie animale. Retranchez encore, concevez la conscience de plus en plus obscurcie, comme dans un rêve faible et confus, tout proche de l’engourdissement complet : vous avez la vie purement organique. Enfin, là où il ne reste qu’une activité qui se disperse et s’échappe complètement à elle-même, c’est l’être inorganique, l’être brut. Voilà, dira-t-on, un être inerte. Point du tout; l’inertie n’est qu’à la surface. Ce qu’on appelle repos n’est qu’un mouvement devenu imperceptible. Ce qui paraît permanence passive est un équilibre passager produit par des forces qui luttent et se neutralisent.

Combien d’ailleurs est petite la part de la matière inorganisée dans l’univers! « Chaque corps organique, dit Leibnitz, est une espèce de machine divine ou d’automate naturel qui surpasse infiniment tous les automates artificiels. En effet, une machine faite par l’art de l’homme n’est pas machine dans chacune de ses parties : par