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promptitude à l’enthousiasme. De nos jours, hélas ! elle n’a accepté le reproche qu’avec trop de docilité. Le temps est bien passé pour elle de la passion et des caprices, des visées philosophiques ou des gaietés de style familières à la plume de Diderot. Elle s’est prise d’une telle dévotion pour les faits qu’elle n’a rien de plus à cœur que d’en dresser tout au long l’inventaire, d’une telle défiance de l’esthétique qu’elle s’accommode et se cantonne dans le domaine de la paléographie. Combien d’écrivains qui, pour nous révéler l’art d’une époque ou le talent d’un maître, s’inquiètent surtout de l’orthographe de chaque nom, sauf à la rétablir avec une exactitude si scrupuleuse que nous ne saurons plus reconnaître les gloires même les plus populaires sous ce signalement inusité ! Combien s’en vont sans relâche fouiller les bibliothèques, transcrivent des documens biographiques d’un intérêt souvent douteux, et regardent à peine les tableaux ou les morceaux de sculpture qu’ils devraient interroger de préférence à tout le reste ! Les regardent-ils par momens, c’est bien moins afin d’en pénétrer l’esprit que pour en mesurer au juste les dimensions, pour y décomposer un monogramme, pour promener la loupe sur d’imperceptibles avaries. À leurs yeux d’ailleurs, l’essentiel n’est pas là. Ce qu’il importe encore plus de savoir et de nous apprendre, c’est le nom du premier possesseur, c’est la date et le prix des acquisitions successives, c’est en un mot l’odyssée commerciale de ces œuvres du génie ou du talent. Nous ne faisons pas fi sans doute de pareils renseignemens ; ils peuvent avoir leur utilité, particulièrement dans notre pays, où notre longue indifférence pour l’art national a laissé bien des lacunes historiques à combler. Il ne faudrait pas toutefois que la réaction contre nos négligences passées aboutît à la victoire d’un esprit d’ordre fastidieux et d’aride classification ; il ne faudrait pas que chez la nation la mieux façonnée à toutes les jouissances du goût on arrivât, de réforme en réforme, à supprimer à peu près le goût et sa fonction pour y substituer le culte absolu des vérités qui s’enregistrent et je ne sais quel besoin germanique des laisser-passer de la science là où nous sommes autorisés de reste par le bon sens gaulois et nos instincts.

Le moment nous semble donc venu où cette manie archéologique devrait se modérer un peu. Assez de documens ignorés ont été remis en lumière, assez de petits artistes inédits ont été retrouvés et produits, assez de petits faits transformés en gros événemens ! Qu’on nous parle maintenant des maîtres et de leurs doctrines, des grands modèles et de leurs beautés ! N’est-il pas bien temps, par exemple, d’opposer une digue à ce torrent de renseignemens sur les peintres du XVIIIe siècle qui, depuis quelques années, envahit le champ de l’art et de la critique ? Tant qu’il s’agissait de restituer la part d’honneur qui leur est due à Watteau, à Chardin, à