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il se proposait d’arriver au coucher du soleil. En même temps Urbina envoyait un détachement de cinquante soldats au-devant de lui. L’officier qui le commande le rencontre et l’aborde en lui disant : Président, je vous arrête. — Au nom de qui ? — Au nom du chef suprême, le général Urbina. — Oh ! j’aurais dû m’en douter. » — « Neboa, continue M. Holinski, ne songea nullement à opposer une résistance d’ailleurs inutile, et son escorte fraternisa avec le détachement des insurgés. À la tombée de la nuit, il passa comme prisonnier sous les mêmes arcs de triomphe qu’il s’attendait à traverser comme premier magistrat de la république. Au lieu des discours officiels et des acclamations de la foule, il ne rencontra qu’une froide indifférence. On le relégua ensuite à bord d’un navire de guerre qui fit voile avec des instructions tenues secrètes pour une terre lointaine où le prisonnier devait être rendu à la liberté, mais condamné à l’exil. Neboa n’avait donc fait que donner dans un piège. La garnison s’était prononcée en conférant l’autorité provisoire au général Urbina, qui, sous les apparences des fêtes destinées à Neboa, avait tout préparé pour lui-même. » Une réunion populaire consacra le fait accompli en acclamant le général Urbina pour président. Le pronunciamiento était terminé à Guayaquil et ne tarda pas à être imité dans toute la province. Quito même n’opposa aucune résistance, et la république tout entière apprit qu’elle s’était librement et héroïquement donné un nouveau président. « Au moins, dira-t-on, n’y eut-il pas de sang versé ! » Sans doute ; mais si les révolutions s’accomplissent aussi facilement dans la plupart des états de l’Amérique hispano-portugaise, elles ne sont pas toujours, ni partout, aussi inoffensives. Et cette instabilité, indépendamment de toute autre considération, n’est-elle pas le plus affligeant de tous les maux, la cause principale de cet état fâcheux dans lequel languissent des sociétés qui n’auraient pourtant besoin que de tranquillité et de calme pour atteindre à un degré inouï de prospérité ?


Les Maîtresses de Louis XV, par MM. de Goncourt.[1]

Le titre de cette publication n’est pas entièrement exact ; on ne doit pas s’attendre à trouver ici un simple groupe de portraits réunis pour amuser cette curiosité de mauvais aloi qu’attirent certaines époques tristement privilégiées. Que d’écrivains n’a-t-on pas vus en effet de nos jours, substituant aux enseignemens élevés de l’histoire les conceptions d’un goût frivole, s’appliquer à réhabiliter successivement Mme de Pompadour, Mme Du Barry, les femmes licencieuses qui composaient la cour du régent, et jusqu’aux princesses de comédie ou déesses d’opéra ! Ces récits superficiels ne se distinguent que par une saveur particulière qui n’est pas précisément celle des bons livres, et la plupart ne méritent que l’oubli. Bien loin d’appartenir à ce groupe d’improvisations où la légèreté le dispute à l’ignorance, le nouvel ouvrage qu’on vient de consacrer aux maîtresses de Louis XV est un essai de réaction contre de si fâcheux et inconvenans badinages. En étudiant davantage le XVIIIe siècle par le côté moral, en examinant les conditions dans lesquelles ont surgi et grandi, jusqu’à prendre place à côté du trône, ces personnalités qui ont fait le scandale d’un long règne, les auteurs ont

  1. 2 volumes in-8o, chez Firmin Didot.