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faire elle-même ce qu’on ne voulait pas faire. Elle arma à grands frais un vaisseau pour le sud ; mais il était trop tard. On trouva les os de Franklin.

Pendant ce temps, des voyages plus longs et néanmoins plus heureux furent faits vers le pôle antarctique. Là, ce n’est pas ce mélange de terre, de mer, de glaces et de dégels tempétueux qui font l’horreur du Groenland. C’est une grande mer sans bornes, de lame forte et violente : une immense glacière, bien plus étendue que la nôtre ; peu de terre ; la plupart de celles qu’on a vues ou cru voir laissent toujours ce doute, si leurs changeans rivages ne seraient pas une simple ligne de glaces continues et accumulées. Tout varie selon les hivers. Morel en 1820, Weddell en 1824, Balleny en 1839, trouvèrent une échancrure et pénétrèrent dans une mer libre que plusieurs n’ont pu retrouver.

Le Français Kerguelen et l’Anglais James Ross ont eu des résultats certains, trouvé des terres incontestables. Le premier, en 1771, découvrit la grande île de Kerguelen, que les Anglais appellent la Désolation. Longue de deux cents lieues, elle a d’excellens ports, et malgré le climat une assez riche vie animale de phoques, d’oiseaux, qui peuvent approvisionner un vaisseau. Cette glorieuse découverte, que Louis XVI à son avènement récompensa d’un grade, fut la perte de Kerguelen. On lui forgea des crimes. La furieuse rivalité des nobles officiers d’alors l’accabla. Ses jaloux servirent de témoins contre lui. C’est d’un cachot de six pieds carrés qu’il data le récit de sa découverte (1782). En 1838, la France, l’Angleterre et l’Amérique firent toutes trois une expédition dans l’intérêt des sciences. L’illustre Duperrey avait ouvert la voie des observations magnétiques. On eût voulu les continuer sous le pôle même. Les Anglais chargèrent de cette étude une expédition confiée à James Ross, neveu, élève et lieutenant de John Ross. Ce fut un armement modèle, où tout fut calculé, choisi, prévu. James revint sans avoir perdu un seul homme ni eu même un malade.

L’Américain Wilkes et le Français Dumont d’Urville n’étaient nullement armés ainsi. Les dangers et les maladies furent terribles pour eux. Plus heureux, James Ross, tournant le cercle arctique, entra dans les glaces et trouva une terre réelle. Il avoue avec une remarquable modestie qu’il dut ce succès uniquement au soin admirable avec lequel on avait préparé ses vaisseaux. L'Erèbe et la Terreur, de leurs fortes machines, de leur scie, de leur proue, de leur poitrail de fer, ouvrirent la ceinture de glaces, naviguèrent à travers la croûte grinçante, et au-delà trouvèrent une mer libre, avec des phoques, des oiseaux, des baleines. Un volcan de douze mille pieds, aussi haut que l’Etna, jetait des flammes. — Nulle végétation, nul