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abord ; un granit escarpé où la neige ne tient même pas. C’est la terre, point de doute ; l’Etna du pôle qu’on a nommé Erèbe, avec sa colonne de feu, reste là pour le témoigner. — Donc un noyau terrestre centralise la glace antarctique (1841).

Pour revenir à notre pôle arctique, les mois d’avril et mai 1853 sont pour lui une grande date. En avril, on trouva le passage cherché pendant trois cents ans. On dut la chose à un heureux coup de désespoir. Le capitaine Maclure, entré par le détroit de Behring, enfermé dans les glaces, affamé, au bout de deux ans ne pouvant retourner, se hasarda à marcher en avant. Il ne fit que quarante milles, et trouva dans la mer de l’est des vaisseaux anglais. Sa hardiesse le sauva, et la grande découverte fut enfin consommée.

Au même moment, mai 1853, partit une expédition de New-York pour l’extrême nord. Un jeune marin, Elischa Kent Kane, qui n’avait pas trente ans, et qui avait déjà couru toute la terre, venait de lancer une idée, hasardée, mais très-belle, qui piquait vivement l’ambition américaine. De même que Wilkes avait promis de découvrir un monde, Kane s’engageait à trouver une mer, une mer libre sous le pôle. Tandis que les Anglais, dans leur routine, cherchaient d’est en ouest, Kane allait monter droit au nord et prendre possession de ce bassin inexploré. Les imaginations furent saisies. Un armateur de New-York, M. Grinnell, donna généreusement deux vaisseaux. Les sociétés savantes aidèrent, ainsi que tout le public. Les dames, de leurs mains, travaillaient aux préparatifs avec un zèle religieux. Les équipages choisis, formés de volontaires, jurèrent trois choses : obéissance, abstinence de liqueurs et de tout langage profane. Une première expédition, qui manqua, ne découragea pas M. Grinnell ni le public américain. Une seconde fut organisée avec le secours de certaines sociétés de Londres qui avaient en vue ou la propagation biblique ou une dernière recherche de Franklin.

Peu de voyages sont plus intéressans. On s’explique à merveille l’ascendant que le jeune Kane avait exercé. Chaque ligne est marquée de sa force, de sa vivacité brillante, et d’un merveilleux en avant ! Il sait tout, il est sûr de tout. Ardent, mais d’esprit positif, il ne mollira pas, on le sent, devant les obstacles. Il ira loin, aussi loin qu’on peut aller. Le combat est curieux entre un tel caractère et l’impitoyable lenteur de la nature du nord, remparée d’obstacles invincibles. À peine est-il parti qu’il est déjà pris par l’hiver, forcé d’hiverner six mois sous les glaces ; au printemps même, un froid de 70 degrés ! A l’approche du second hiver, au 28 août, il est abandonné ; il ne lui reste que huit hommes sur dix-sept. Moins il a d’hommes et de ressources, plus il est âpre et dur, voulant, dit-il, se faire mieux respecter. Ses bons amis les Esquimaux, qui aident à