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se doit et leur doit, c’est de ne pas prodiguer sans cause la mort et la douleur. Les Hollandais et les Anglais ont l’attention de tuer immédiatement le hareng. Les Français, plus négligens, le jettent dans la barque et l’entassent, le laissent mourir d’asphyxie. Cette longue agonie l’altère, lui ôte de son goût, de sa fermeté. Il est macéré de douleur, il lui advient ce qu’on observe dans les bestiaux qui meurent de maladie. Pour la morue, nos pêcheurs la découpent au moment où elle est prise : celle qui tombe la nuit aux filets, et qui a de longues heures d’efforts, d’agonie désespérée, ne vaut rien en comparaison de celle qu’on tue du premier coup[1].

Sur terre, les temps de la chasse sont réglés ; ceux de la pêche doivent l’être également, en ayant égard aux saisons où se reproduit chaque espèce. On doit aménager la pêche, comme la coupe des bois, en laissant à la production le temps de se réparer. — Les petits, les femelles pleines, doivent être respectés, spécialement dans les espèces qui ne sont pas surabondantes, spécialement chez les êtres supérieurs et moins prolifiques, les cétacés, les amphibies.

Nous sommes forcés de tuer : nos dents, notre estomac, démontrent que c’est notre fatalité d’avoir besoin de la mort. Nous devons compenser cela en multipliant la vie. Sur terre, nous faisons multiplier nombre d’êtres qui ne naîtraient pas, seraient moins féconds, périraient jeunes, dévorés des bêtes féroces. C’est un quasi-droit que nous avons sur eux. Dans les eaux, il y a encore plus de jeunes vies annulées : en les défendant, en les propageant et les rendant très nombreuses, nous nous créons un droit de vivre du trop-plein. La génération est là susceptible d’être dirigée comme un élément, indéfiniment augmentée. L’homme en ce monde-là surtout apparaît comme le grand magicien, le puissant promoteur de l’amour et de la fécondité. Il est l’adversaire de la mort, car, s’il en profite lui-même, la part qu’il s’adjuge n’est rien en comparaison des torrens de vie qu’il peut créer à volonté.

Pour les espèces précieuses qui sont près de disparaître, surtout pour la baleine, l’animal le plus grand, la vie la plus riche de toute la création, il faut la paix absolue pour un demi-siècle. Elle réparera ses désastres ; n’étant plus poursuivie, elle reviendra dans son climat naturel, la zone tempérée ; elle y retrouvera son innocente vie de paître la prairie vivante, les petits êtres élémentaires. Replacée dans ses habitudes et dans son alimentation, elle refleurira, reprendra ses proportions gigantesques ; nous reverrons des baleines de deux cents, trois cents pieds de long. Que ses anciens rendez-vous d’amour soient sacrés ! Cela aidera beaucoup à la rendre

  1. Excellentes observations de M. Baude.