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nombre total de la population de couleur diminuait constamment, se renouvellera peut-être aux États-Unis. En même temps les besoins des planteurs développeront la traite sur une échelle toujours plus étendue, et l’Afrique ne sera plus considérée par eux que comme un immense dépôt où il suffira de puiser pour combler les vides faits dans les rangs des esclaves américains. Ne voyons-nous pas les habitans de Maurice et de la Réunion s’occuper bien plus de faire venir de nouveaux travailleurs que d’utiliser ceux qu’ils ont déjà sous la main ? Et cependant ces créoles n’ont pas, comme les planteurs de l’Amérique, le malheur d’être les maîtres absolus des hommes qu’on leur amène de par-delà les mers.

Les faits que nous ayons cités prouvent combien sont difficiles à surmonter les obstacles qui s’opposent à la libération des esclaves d’Amérique ; mais, il faut l’avouer avec tristesse, ce qui fait la plus grande force des esclavagistes, ce n’est pas leur terrible solidarité, ni l’audace effrayante avec laquelle ils se jettent dans les hasards de la traité ; ce n’est pas la lâcheté ni l’ignorance de leurs nègres : c’est l’inconséquence de leurs ennemis du nord. On sait combien il est facile de se laisser abuser par les mots et d’accepter paresseusement des opinions toutes faites, même à l’endroit des choses les plus graves. C’est ainsi que dans le monde entier la plupart de ceux qui s’occupent plus ou moins vaguement de politique sont d’accord pour admettre que les abolitionistes n’ont d’autre vœu que l’émancipation des noirs, leur admission comme citoyens dans la grande communauté républicaine, la fraternité des races, la réconciliation universelle. Hélas ! il en est tout autrement, et la plupart des abolitionistes ne réclament l’extinction de l’esclavage que pour éviter aux blancs la concurrence du travail servile : c’est par haine, non par amour des noirs, qu’ils demandent l’affranchissement des déshérités, Certainement il est dans les rangs du parti républicain bien des hommes de dévouement et d’héroïsme qui voient des frères dans ces esclaves à peau noire, et ne craindraient pas de donner leur vie pour la cause de la liberté. Garrison, l’imprimeur indomptable, Dana, Gerritt Smith, bien d’autres encore se laissent abreuver d’outrages, et rien n’a pu dompter leur énergique amour de la race vaincue ; le publiciste Bayley, sachant qu’un mot de liberté prononcé devant les opprimés vaut mieux que de grands discours tenus à des hommes libres, installe ses presses dans le Kentucky en plein territoire ennemi, et pendant plusieurs années, aidé de ses nobles fils et de ses ouvriers, repousse les attaques des incendiaires et des assassins ; Sumner, indignement insulté et battu comme un esclave en plein sénat, devant les représentans de la république, retourne courageusement à son poste combattre