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avec lequel les créoles louisianais parlent des Cadiens, pauvres blancs ainsi nommés parce qu’ils descendent des Acadiens exilés dont Longfellow a conté la touchante histoire dans son poème d’Evangeline. D’autres, auxquels on donne à tort le même nom, sont les petits-fils des esclaves blancs, pour la plupart d’origine allemande, qu’on vendait autrefois sur les marchés du sud. Les Cadiens habitent des cabanes assez misérables ; ils n’osent pas travailler la terre, de peur de se ravaler au niveau des nègres, et par un amour-propre mal placé, mais bien naturel dans un pays d’esclavage, ils cherchent à prouver la pureté de leur origine par la paresse la plus sordide. Cependant ils n’échappent pas au mépris des nègres eux-mêmes, qui voient la pauvreté de ces blancs avec une satisfaction contenue. Ainsi condamnés à l’oisiveté, par leur dignité de race, placés entre le mépris des grands propriétaires et celui des esclaves, ces petits habitans ont l’âme rongée par l’envie et nourrissent contre les planteurs une haine implacable, à demi cachée sous les formes d’une obséquieuse politesse. Plusieurs même ne craignent pas d’exprimer hautement leurs vœux en faveur d’une insurrection d’esclaves, et ceux d’entre eux qui émigrent dans les états du nord deviennent les ennemis les plus acharnés de l’esclavage, non par amour des noirs, mais par haine des maîtres ; c’est même en partie à l’opposition de ces plébéiens que l’état du Missouri doit le fort parti abolitioniste qui balance, dans la législature le pouvoir des planteurs patriciens. Les riches propriétaires du sud n’ignorent point qu’ils ont tout à craindre de cette plèbe envieuse qui voit passer avec dépit leurs fastueux équipages ; mais les institutions républicaines des états et la crainte d’une insurrection immédiate les empêchent de prendre des mesures pour éviter le danger. Quoi qu’ils fassent, ils ne sauraient trop redouter l’avenir, car, dans les états du sud, six millions de blancs, loin d’avoir aucun intérêt à maintenir l’esclavage, ont leur politique toute tracée dans le sens contraire : sous peine de devenir esclaves eux-mêmes, il faut qu’ils résistent aux empiétemens des trois cent cinquante mille propriétaires féodaux, ou bien qu’ils abandonnent leur patrie. N’osant résister, nombre d’entre eux préfèrent s’exiler. Le recensement de 1850 a montré que 609,371 hommes du sud étaient venus s’établir dans le nord, tandis que seulement 206,638 personnes nées dans les états libres avaient émigré vers le sud ; eu égard à la différence des populations respectives, c’est dire que la terre d’esclavage repousse hors de son sein six fois plus de blancs qu’elle n’en attire. Les planteurs font le vide autour d’eux, tandis que la liberté entraîne dans son tourbillon tous les hommes de travail et d’intelligence.

On se demande avec anxiété si la scission depuis si longtemps annoncée