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ces délicieux fruits des tropiques, qui arrivent à Java à leur plus haute perfection. Un nouveau méfait de David vint exciter ma confusion et l’hilarité de l’assemblée. En proie à de secrètes terreurs, le malheureux n’approchait du général qu’avec des sautillemens, des gambades grotesques, et finit par déverser sur le chef d’Ettore un magnifique fromage bavarois sur lequel j’avais jeté mon dévolu depuis le commencement du repas. Cet accident ne devait pas clore la série des maladresses de David, et au moment du départ je le vis déposer un de mes fusils dans un étui dont je n’avais jamais été propriétaire. Je venais de retirer l’arme de ce fourreau d’emprunt, lorsque sous la poche mes yeux rencontrèrent involontairement deux mots tracés à l’encre noire, d’une belle écriture ronde, qui ne produisirent pas moins d’effet sur mon esprit troublé que les trois mots fatidiques sur l’esprit de Balthazar et de ses convives. Ces deux mots étaient : Signor Carabosso !… Je n’étais pas encore remis de la stupeur dont j’avais été saisi à cette révélation inattendue, que le général m’avait assez brusquement pris l’étui des mains en me rendant le mien en échange.

Nous eûmes à opérer une retraite de plus de deux heures, et cependant je ne me rendis aucun compte de la longueur du voyage, tant j’étais absorbé par les événemens énigmatiques dont le hasard venait de me donner le dernier mot. Les renseignemens de la lettre du docteur James sur la nouvelle incarnation du compagnon de l’infortuné Vinet, le témoignage si affirmatif de David, le nom écrit sur la gaine du fusil, contribuaient également à établir à mes yeux un caractère irrécusable d’identité entre le trop galant Ettore et il signor Carabosso. Ce fait acquis, je m’expliquais très facilement les projets meurtriers d’Hendrik et les terreurs de Madeleine. Maître des secrets de la jeune femme, le drôle avait sans doute tenté quelque ignoble spéculation que mon honnête ami voulait punir par le fer ou par le plomb. Une série d’heureuses découvertes avait mis entre mes mains toutes les courroies nécessaires pour museler cet intrigant de bas étage ; aussi, franchement ravi de pouvoir servir la cause du bon droit et de l’amitié, je terminais ma toilette dans les plus heureuses dispositions d’esprit lorsqu’un coup discret retentit à la porte de ma chambre, et David, ayant sur mon ordre tourné le bouton de la serrure, se trouva face à face avec le général Trufiano. Éperdu de terreur à cette vue et croyant sa dernière heure bien définitivement arrivée, l’imbécile sonda d’un regard désespéré les profondeurs du dessous de mon lit, puis, sans doute peu satisfait de la sécurité de cet asile, d’un bond prodigieux s’élança hors de la chambre.

Le personnage qui me faisait l’honneur inespéré d’une visite