Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sieurs fois à faire allusion à ce journal important, fondé et rédigé par les hommes qui sont aujourd’hui au pouvoir à Berlin. Son opinion sur la question de la Vénétie mérite donc d’être sérieusement pesée. L’article dont nous parlons porte un titre méprisant, qui annonce dès l’abord la pensée de l’auteur sur le projet du rachat de la Vénétie : « la spéculation sur les fonds et sur la politique. » Le patronage donné par un de nos journaux officieux à la brochure sur la Vénétie a d’ailleurs en Allemagne produit la plus mauvaise impression, même parmi les adversaires habituels de l’Autriche. Le comité militaire de la diète de Francfort s’occupe, aussi activement que les mœurs fédérales le permettent, de pourvoir l’armée de la confédération de canons rayés du système prussien. On dit aussi que l’interminable question du commandement de l’armée fédérale avance dans les négociations directes entamées à ce sujet à Berlin entre la Prusse et l’Autriche, et recevra une solution prochaine.

Revenons à ce caractère général de la situation extérieure qui donne lieu de craindre toute sorte de complications prochaines. Dans les idées de l’ancienne politique, qui ne comprenait point la grandeur des intérêts économiques, la France, satisfaite de sa force, matérielle qui présente en effet un aspect plus rassurant que son état moral, la France eût pu assister avec un secret plaisir à l’affaiblissement de ses voisins et à la décomposition des puissances sous la coalition desquelles elle succombait il y a cinquante ans. Dans cet ordre de considérations où l’on tient surtout compte de la force des états, il y aurait même lieu de dresser aujourd’hui un bilan instructif des résultats qu’ont eus les arrangemens de Vienne pour la France et pour les puissances qui ont vaincu Napoléon en 1814 et 1815. À la lumière de cette grandiose expérience, que l’on peut regarder comme terminée aujourd’hui après les ébranlemens qu’a reçus le système créé par le congrès de Vienne, il est permis de réviser bien des jugemens passionnés et rétrogrades portés par l’ancienne école politique. Cette école prétendait que la France avait été outrageusement affaiblie par l’arrangement du congrès de Vienne, et il se trouve qu’au bout d’environ un demi-siècle, c’est la force du vaincu seul qui s’est relevée et prodigieusement accrue, tandis que les vainqueurs, malgré les frontières qu’ils nous ont enlevées, sont allés en s’affaiblissant et en déclinant. C’est qu’entre les vainqueurs et les glorieux vaincus il y a eu depuis ce temps une différence profonde. Le vaincu a mené pendant trente-sept ans la vie orageuse, mais saine et virile de la liberté, tandis que les vainqueurs se sont étiolés dans les routines débilitantes du despotisme. Certes la leçon est grande, et l’enseignement opportun. S’il y a encore en France une école de politiques qui mettent en balance la vertu de l’agrandissement des frontières et la vertu du principe vital des institutions libres, conçoit-on une condamnation plus écrasante de ce matérialisme que celle que les faits prononcent sous nos yeux ?

Mais une solidarité morale et économique unit les peuples, et les sociétés